Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/140

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

pour le martyre, et parmi ceux qui le blâment, il n’en est pas un seul qui ne l’aimerait et ne l’admirerait, s’il le connaissait particulièrement.

Mais qui ne le connaît ? qui n’a déjà reconnu Barbès à ce que je viens d’en dire ? Barbès qui, au fond de sa prison, n’a point encore eu d’autre préoccupation, d’autre souci que la crainte de voir des innocents compromis dans sa cause ? Qui n’a senti, en lisant les lettres de Barbès au colonel Rey et à Louis Blanc, qu’une grande âme était aux prises avec une terrible destinée ? Un mot bien simple du colonel Rey a frappé tous les cœurs en France d’un choc électrique ! Merci, honnête homme ! Oui, honnête homme ! Ce titre-Là est grand comme le monde aujourd’hui, aussi grand, aussi rare que le génie de Napoléon dans le passé…

… Quant à toi, Barbès, rappelle-toi le mot de l’enfer dans Faust : Pour avoir aimé, tu mourras ! Oui, pour avoir aimé ton semblable, pour t’être dévoué sans réserve, sans arrière-pensée, sans espoir de compensation à l’humanité, tu seras brisé, calomnié, insulté, déchiré par elle. J’ignore si le fer de la guillotine est à jamais brisé pour les dissidences politiques. Tu l’as déjà vu de près, et son éclair ne te ferait point cligner les yeux. Mais déjà, à demi mort dans les cachots de la monarchie, tu recommences ton agonie dans les cachots de la République. Je crois fermement que la justice du pays t’absoudra, j’espère encore dans l’idée qui préside aux destinées de la République. Mais, tu n’en seras pas moins persécuté, durant les jours qui te restent à vivre, par l’idée contraire, toute-puissante encore chez la plupart des hommes. Tu mourras à la peine d’un éternel combat, car les forces humaines ne suffisent pas à la lutte que ces temps-ci ont vu naître, et que ni toi ni moi ne verront finir. Reste donc calme ! Tu as choisi la souffrance, la prison, l’exil, la persécution et la mort. Tu seras exaucé, toi dont l’ambition était de mourir pour la cause du peuple. Peut-être même connaitras-tu cette suprême douleur, peut-être boiras-tu ce dernier calice, d’être maudit par des insensés, à l’heure où tu rendras à Dieu ton âme sans souillure. Mais tu crois à la vie éternelle et d’ailleurs, tandis que les ennemis du peuple te jetteront une dernière pierre, le peuple te criera par la bouche de ceux qui t’aiment : Merci, honnête homme !

Et nous de notre part nous dirons : à l’heure où régnait parmi l’opposition une panique, un abattement et un ahurissement général, où la réaction triomphait sur toute la ligne, à cette heure-là, George Sand, qui adressait ainsi publiquement la parole au prisonnier Barbès, prouva qu’elle était, elle aussi, non