Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/152

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vraiment heureux que quand il crée. Mais voilà que je tombe dans la philosophie, et devant vous, encore, madame, un Scythe qui fait de l’esprit devant un esprit athénien ! Soyez indulgente, rappelez-vous que je viens de la Sibérie et non de Paris, — quoique, à vrai dire, Paris semble être tombé aujourd’hui un peu au niveau de la Sibérie.

Laissez-moi, madame, vous exprimer encore une fois les sentiments de respect profond et de sympathique dévoument dont j’ai été toujours pénétré pour vous.

M. Bacounine[1].

Les événements de 1848, ou plutôt la réaction qui sévit dans toute l’Europe en 1849, fit encore connaître à George Sand un autre jeune républicain, le docteur Hermann Müller-Strubing, archéologue et helléniste passionné, qui fut en même temps un bon musicien… Il vint à Paris ayant déjà passé sept longues années dans les casemates d’une forteresse allemande, pour avoir, presque adolescent encore, pris part à une attaque contre un corps de garde à Francfort, ce qui fut le signal d’une émeute générale. Müller fut arrêté, jugé comme instigateur, condamné à mort, mais la condamnation fut commuée en détention à perpétuité. L’amnistie générale, proclamée lors de l’avènement au pouvoir de Frédéric-Guillaume IV, le mit en liberté. Or, les sept années qu’il passa en prison, il les employa à étudier à fond la philologie, notamment le grec et quelques langues nouvelles, l’histoire de l’art, etc. De sorte que « ce n’est pas un être brisé qui quitta sa cellule après cette longue détention, mais bien un homme grandement instruit, plein de forces et d’espérances. C’était un idéaliste en toutes choses, un enthousiaste comme on n’en rencontre plus. Le grand art grec, la musique, le Beau, voilà ce qui comptait le plus pour lui. Les privations, la vie précaire, lui importaient peu. Ayant, dès 1841, fait la connaissance de Tourguéniew à Berlin, et s’étant hé d’amitié avec lui, ce dernier le présenta à Mme Viardot, lors de ses brillants succès à Berlin, en 1845. Musicien distingué lui-même, Müller se prit d’une admiration sans bornes pour la géniale artiste. Mais quand la révolution de 1848 éclata, l’ancien républicain se ré-

  1. La première lettre est signée : Bakounine, la seconde : Bacounine.