Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/156

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qui m’ont frappé, le nom de George Sand tomba de tes lèvres. Je frissonnai à ce nom. C’était pour moi une indication. Elle doit connaître cette histoire, elle qui résume dans sa personne l’idée révolutionnaire de la France. Je t’ai exprimé mon désir de l’instruire de cette affaire.

La réponse dont tu m’as parlé hier me prouve, qu’entraîné par l’indignation contre tant de scélératesse, tu ne m’as pas tout à fait compris. L’affaire est jugée, un tribunal formel est impossible, un tribunal moral a prononcé son arrêt. La réprobation générale qui a enveloppé cet homme en est la preuve. Penses-tu donc que des hommes comme Mazzini, Worcel, Proudhon, Kinkel, etc., se seraient prononcés avec tant d’énergie, si les faits n’étaient pas constatés, s’il n’y avait pas de documents et des témoins ? Dévoiler cet homme devant ceux que j’estime, que j’aime, est pour moi un besoin de cœur, un acte de haute moralité. Socialiste et révolutionnaire, je ne m’adresse qu’à nos frères. L’opinion des autres m’est indifférente. Tu vois de là que l’opinion de George Sand a une valeur immense pour moi.

Il s’agit d’une femme dans cette tragédie. D’une femme qu’on a brisée, calomniée, persécutée, qu’on est parvenu à assassiner enfin. Et tout cela parce qu’une passion malheureuse a envahi son cœur comme une maladie et que son cœur repoussa au premier réveil de la nature noble et forte. Et l’assassin, le calomniateur, le dénonciateur de cette femme était ce même homme qui, feignant pour elle un amour sans bornes, la trahit par vengeance, comme il avait trahi son ami le plus intime par lâcheté. Tu as vu ses lettres… C’est un de ces caractères dans le genre d’Horace de George Sand. Mais Horace développé jusqu’à la scélératesse.

Je n’ai pas voulu terminer une affaire pareille par un duel, il y avait trop de crimes, trop de perfidie pour les couvrir par la mort ou pour les laver par le sang d’une blessure. J’ai entrepris une autre justice, elle était hasardée. Le premier homme auquel je fis part de ma résolution était Mazzini. Il m’a soutenu dans cette voie difficile ; il m’écrivit : « Faites de votre douleur un acte solennel de justice au sein de la société nouvelle, accusez, la démocratie jugera. »

Je l’ai accusé ; et mon appel à nos frères ne resta pas sans réponse. Maintenant, je commence un mémoire détaillé. Ce mémoire, je voudrais l’envoyer à George Sand.

Il ne me manquait pas de conseil prudent et charitable de me taire, de couvrir tout par un silence absolu. Celui qui dit cela, accuse la femme. Je n’ai rien à cacher, elle est restée pure et sublime à mes yeux, mon silence serait perfide, serait un manque de religion pour la victime. Et ensuite il n’y avait pas même de choix après les calomnies répandues par cet individu. Je fais à haute voix et au grand jour ce qu’il