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Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/177

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respiraient l’amour du bien et partaient d’une conviction profonde ; alors, vous m’avez écrit, et cette preuve de sympathie de votre part restera éternellement gravée dans mon cœur. Mais vous êtes venue à Paris, et là vous avez trouvé des hommes qui se sont appliqués à retenir cette main que vous tendiez vers moi. Ils vous ont dit : « Nous sommes épars, divisés, nous sommes menacés par toutes les forces du pouvoir, par tout le froid des vieilles idées et des vieux intérêts, par la haine et la jalousie de toute l’Europe. Eh bien, le danger, l’ennemi n’est pas aux Tuileries, mais à Ham. Ce n’est pas contre un pouvoir allié des rois oppresseurs des peuples et disposant de toutes les ressources d’un grand empire que nous devons nous liguer, mais contre un de nos frères qui, prisonnier et abandonné de tous, n’a que son nom pour égide, sa conscience pour soutien. Et vous, malgré votre bon cœur, votre haute intelligence, vous avez suivi le torrent, et quoique entourée d’ennemis bien réels vous vous attaquez à un fantôme : et ce fantôme c’est moi ! Voilà ce qui m’afflige comme homme, ce que je regrette comme citoyen, car, croyez-le bien, l’union de tous les bleus sera à peine suffisante pour repousser le blanc-blanc et le blanc sale qui nous entourent. Mais cependant ce n’est pas de la politique que je viens faire avec vous aujourd’hui ; je veux absolument me justifier en vous accu gant de partialité. Je tiens beaucoup à l’estime des hommes ; mais je tiens particulièrement à la vôtre. Je veux que vous me jugiez tel que je suis et non tel qu’on me fait à vos yeux. Je veux enfin ne pas perdre la petite part de sympathie que vous m’avez donnée. J’y tiens, comme le prêtre tient à la lampe qui brûle devant l’autel, comme on tient à un talisman qui porte bonheur.

Recevez, madame, mes doléances avec bonté et croyez à mes sentiments respectueux.

20 juin 1845.
Madame,

Je me sers d’une occasion et d’un prétexte pour vous écrire. L’occasion c’est le retour à Paris de M. et Mme Cornu[1], deux de mes plus anciens amis qui veulent bien se charger de cette lettre pour vous ; le prétexte, c’est l’envoi d’un avant-propos, éclairer d’un ouvrage qui malheureusement n’est point destiné à exciter votre intérêt. Vous avez été si bonne pour moi qu’il était inutile d’avoir recours à un prétexte pour vous écrire. Cependant cela me met plus à mon aise et je crains

  1. Mme Hortense Cornu, née Lacroix, sœur de lait et amie intime de Napoléon III, fut mariée au peintre Sébastien-Melchior Cornu et se distingua comme écrivain et traductrice des poètes allemands, sous le pseudonyme de Sébastien Albin. Elle fit paraître en 1843 un travail en deux volumes sur Goethe et Bettina et un peu avant Ballades et chants populaires (anciens et modernes) de l’Allemagne, précédés d’une notice historique. (Gosselin, 1841.)