Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/181

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toire d’une démocratie. L’histoire désormais changera de caractère. Ce ne sera plus seulement le récit des faits et gestes de certains hommes ; ce sera principalement l’étude des aspirations, des impressions et des manifestations des masses. Ce qui vient de se passer est un grand fait, un grand enseignement…

George Sand croit que le général Cavaignac — un honnête homme et qui ne fut qu’une arme dont s’était servie « l’Assemblée sans cœur » et la bourgeoisie — eut à expier cette faute involontaire, et que le peuple élut Louis-Napoléon « en haine de Cavaignac », comme les prolétaires-socialistes le déclarèrent à Ledru-Rollin dans les grands centres.

Dans les campagnes, la grande masse des prolétaires agricoles a fait de même sans bien s’en rendre compte. Elle s’est vengée d’une république bourgeoise qui l’a leurrée de belles promesses, et qui n’a trouvé pour planche de salut que l’impôt sur le pauvre…

En repoussant le favori de l’Assemblée, le peuple protestait non contre la République dont il a besoin, mais contre celle que l’Assemblée lui a faite. Croyez bien que c’est là le grand ascendant de Louis Bonaparte, c’est de n’avoir encore rien fait sous la république bourgeoise. Le prestige du nom est quelque chose ; mais le paysan est toujours positif, même lorsqu’il est romanesque. Que l’élu de son choix le frappe d’un nouvel impôt, vous verrez à quoi lui servira son nom. Quant à nous, il nous faut examiner sérieusement cet acte imprévu de souveraineté populaire, et ne pas nous laisser surprendre par le dégoût et le découragement… Nous avons maintenant peu de politique à faire, puisque le souverain veut agir tout seul. Mais nous lui devons la propagande des idées, afin qu’il sache peu à peu les moyens de réaliser ce qu’il veut. Quant à moi, je ne sens aucun dépit contre le peuple, lors même qu’en apparence il apporte à cette révolution une solution passagère, tout opposée à mes vœux. De tous les hommes de tous les partis politiques que j’ai vus passer depuis quarante ans, je n’ai pu m’attacher exclusivement à aucun, je le confesse. Il y avait toujours en dehors de tous ces hommes et de tous ces partis un être abstrait et collectif, le peuple, à qui seul je pouvais me dévouer sans réserve. Eh bien, que celui-là fasse des sottises ; je ferai pour lui dans mon cœur ce que les hommes politiques font dans leurs actes pour leur parti : j’endosserai les sottises et j’accepterai les fautes…

Les événements de 1848-51 et le triste rôle qu’y joua « l’élu du peuple » sont trop connus pour que nous y revenions ici. Nous