Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/240

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c’est plus encore une question de santé que d’amour-propre. Le fait est que je suis malade. J’ai l’arrière-gorge travaillée par une inflammation chronique qui menace d’attaquer les bronches et de porter ses ravages plus bas encore. Je me sens de la fièvre. Si la raison d’État m’envoie dans la Sibérie belge, je n’y résisterai pas longtemps. Mon mal n’est pas de ceux que saint Hubert avait reçu le don de guérir. Puis, enfin, il y a là une question de vie matérielle. Si j’étais ici à poste fixe, peut-être trouverais-je à faire quelque besogne honorable dont le salaire m’aiderait à subvenir à mes besoins.

J’ai bien trop longtemps parlé de moi. De vous maintenant et de nos amis les proscrits ! Le sujet est délicat à toucher. Ici l’on vous blâme un peu ; moi, je vous défends beaucoup. Je sais, vous me l’avez dit chez Proud’hon, qu’il n’est jamais entré dans vos projets de déclarer la guerre à Bonaparte. La neutralité de votre part étant irrévocablement arrêtée avec vous-même, je n’ai pu blâmer le parti que vous cherchiez à tirer de vos rapports antérieurs avec Louis-Napoléon. Je ne puis que vous louer, au contraire, de votre intervention, soit pour une amnistie générale, soit pour des mises en liberté particulières. Je ne comprends pas, en vérité, ceux qui vous font un crime de vos démarches toutes pleines d’humanité. Vos actes, en ces jours de proscriptions, marqueront selon moi une des plus belles pages de votre vie. Sans doute, je vous aurais mieux aimée attaquant le parjure, la violation du droit et des lois, et faisant par votre courage de femme rougir les hommes de leur lâcheté. Vous ne voulez pas de cette célébrité, Vous aurez raison peut-être ; peut-être vaut-il mieux être vous, vous intercédant pour la France, pour les victimes, pour vos amis, que de refaire Mme de Staël, même avec supériorité, et d’irriter un caractère vindicatif et rancuneux. Faites donc votre naturel comme disent les artistes. Soyez la Notre-Dame du Bon Secours. Qui donc, en ce naufrage universel, voua ferait raisonnablement un grief de votre sollicitude ? Quel crime, grand Dieu ! que de ramer vers les malheureux que le flot submerge ! Tenez pour certain, madame, que dans les suprêmes désastres, le sauvetage est une œuvre tout à la fois de bien et de hardiesse. Quand pitié peut être taxée de complicité, c’est courage peu vulgaire et vertu peu commune que d’implorer pour les vaincus.

Je vais plus loin encore et je dis que si vous obtenez l’amnistie en masse, vous aurez rendu un immense service à la République. Cela n’est point un paradoxe. Que ferons-nous pour elle dans l’exil ? De quel secours serons-nous pour elle ? Volontaires ou forcés, de quel poids réel des émigrés ont-ils jamais pesé dans les destinées de leur pays ? Loin du milieu natal, chacun de nous perd plus des trois quarts de sa valeur et de sa force, et la totalité de son action. Je nous vois ici, désorientés, ahuris, démoralisés, conscients de notre impuissance,