Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/242

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logis. Vous êtes trop honnête pour être défiante, mais vous verrez qu’il vous trompera, vous, comme il a trompé les hommes et Dieu. Je n’aime pas vous entendre dire qu’il est chevaleresque, je l’aime d’autant moins que vous le pensez. Vous vous laisserez donc toujours capter par l’hypocrisie. Non, sous ce flegme, qui n’est pas français, il n’y a rien d’honnête ni de grand. Que votre soif de réformes et vos aspirations vers le règne de la justice n’altèrent point votre jugement d’habitude sûr et sain. Ne vous laissez donc pas prendre aux promesses monosyllabiques de l’empereur socialiste. Vous saurez me dire un jour ce que c’est que le socialisme pour ce cerveau plat et ce cœur sec. Son socialisme, à lui, ne créera rien, soyez-en d’avance bien certaine. J’en sais assez maintenant pour deviner le reste. Il veut constituer la féodalité des hauts traitements et dominer par les grands vassaux du salaire et la bourgeoisie et le peuple. Il ne veut pas une existence indépendante dans l’État, et pour assujettir tout le monde, il donnerait, s’il le pouvait, solde et paye à tout le monde. L’affaire des costumes n’est pas une fantaisie de maniaque. Il y a tout un système social : il commence par broder les fonctionnâmes sur toutes les coutures, pour arriver de classe en classe à donner une livrée à la nation.

Il en viendra, si le temps et notre pusillanimité le permettent, à réglementer toute chose, à embrigader toute personne. Il fera de la France une caserne. Il tuera toutes les activités, comme il a scellé toutes les bouches. Quiconque n’emboîtera point le pas sera un fort mauvais citoyen. Toutes les servitudes du communisme avec toutes les inégalités sociales du présent, voilà ce qu’il donnera au pays. Avec le bonheur du peuple pour prétexte, il tuera toute vertu comme rebelle et tout génie comme factieux. Il faudra que tout le monde rentre dans le rang. Il nous alignera bien plus pour abaisser les têtes trop hautes que pour niveler les ventres trop nourris. Il respectera tous les intérêts pour avoir le droit de poursuivre toute noblesse de cœur et toute indépendance d’esprit. Il ne lui faudra que des affranchis pour le servir et des esclaves pour le saluer. Il n’aime pas plus le peuple que les Césars n’aimaient la plèbe. Croyez-vous que c’était par dévouement à la multitude que les empereurs égorgeaient les patriciens ? Ce n’est pas l’aristocratie capitaliste qu’il menace et qu’il veut détruire, c’est bien plus à la supériorité de l’intelligence qu’il en veut. Je vois à cette heure et je prends en horreur la souveraineté de son but. Il m’a fallu l’expérience du temps présent pour bien comprendre la fin abominable que poursuivaient les Césars d’autrefois et par les tristes résultats qu’ils obtinrent je touche déjà de l’œil le terme où celui-ci nous mène. Je saisis maintenant la vérité profonde de ces deux mots de Tacite : magna ingenia et virtutes cessere. Tournez la phrase au futur et vous aurez l’avenir que cet homme nous prépare. Je le crois capable