Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/245

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N’est-il pas curieux, aussi, que dans un seul et même amas de paperasses, côte à côte avec les lettres de « l’ouvrier typographe » Tremblay (qui annonçait à Mme Sand la maladie et la mort de Mme Pauline Roland exilée), avec celles du vigneron Lumet, celles de Patureau-Francœur — républicain connu et simple vigneron aussi, — ces dernières écrites sans aucune espèce d’orthographe, mais dans une langue très pure et témoignant d’une grande élévation morale, d’une culture et d’une profondeur d’esprit exceptionnelles, — côte à côte avec ces lettres nous trouvons, disions-nous, des lettres du comte d’Orsay toutes imprégnées de la désinvolture la plus élégante, la plus mondaine, la plus parfaite qui soit.

Et tous ces correspondants que disent-ils, tous ? L’arbiter elegantiarum londonien, comme l’humble prolétaire, cet intransigeant républicain Dufraisse, comme le paisible et fin compagnon de la jeunesse de Nohant, — tous ils s’empressent de due à Mme Sand : « Je suis heureux de m’appeler votre ami. Vous êtes une grande âme, un grand cœur, je me prosterne devant vous comme devant une divinité… »

3 mai 52.
Chère madame Sand,

Un quart d’heure après que j’ai reçu votre lettre Louis-Napoléon avait entre ses mains celle que vous lui aviez adressée. Son huissier de la chambre, domestique confidentiel, était le mien anciennement, et par ce moyen mes lettres sont toujours remises à la minute. J’ai aussi mis en campagne Napoléon qui est prêt à agh comme anière-garde, si vous ne recevez pas de réponse. Donc, tenez-moi au courant et n’ayez aucune crainte à l’égard de votre protégé. Tout ce que vous me dites de Lambert je l’avais deviné par instinct. Ah ! mon Dieu, que vous avez raison de dire qu’il n’y a que les belles natures qui savent accepter ce qui vient du cœur, sans en être gêné.

J’ai revu notre fou[1] qui avait oublié cent fois en route tout ce qu’il vous a promis. Le fond de l’affaire c’est qu’il aime trop sa femme et qu’il ne peut se résigner, étant sobre, à une séparation. J’espère pourtant qu’il va s’accoutumer à sa vie de célibataire, car si par hasard, ils se remettaient ensemble, la brouille recommencerait dans quinze jours.

J’accepte votre dédicace sous toutes les formes, et plus c’est long,

  1. Clésinger, mari de Solange, la fille de Mme Sand.