Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/251

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On voit par les lettres de Périgois et d’Aucante écrites de la prison de Châteauroux, et par les lettres de Victor Borie, Étienne Arago et Marc Dufraisse, de Bruxelles, que si la plupart des victimes du coup d’État acceptaient son aide avec gratitude il y en avait d’autres parmi eux qui la jugeaient brutalement, tout en profitant de son secours, et qu’il y en avait même qui, tout en espérant en ses bons rapports « avec l’Élysée » et en la priant de travailler à leur retour eu France, lui déclaraient cyniquement qu’elle rendrait par là un grand service à la cause républicaine, car de loin ils ne pouvaient être bons à rien, et une fois revenus dans la patrie ils pourraient recommencer leur propagande secrète.

(Nous avons vu comment George Sand jugeait ceux-là !)

Mais les choses allèrent plus loin encore. George Sand eut à subir l’éloignement et le refroidissement de certains de ses amis les plus intimes pour avoir plaidé pour eux. Enfin, il se trouve que Quinet fut tellement « révolté » par ses généreux efforts pour sauver des innocents de la déportation et de la détention que, tout bouillant d’indignation, il cessa d’aimer même l’auteur, et que tous les chefs-d’œuvre de George Sand, si admirés jadis, lui parurent de la rhétorique ne soutenant pas une seconde lecture, depuis qu’il avait appris que l’auteur, « chapeau bas, faisait antichambre à l’Elysée… »[1]. Voilà les « beaux sentiments » républicains ! Ils décoiffent même les dames, et la Mare au diable, Jeanne et Consuelo n’ont plus aucune valeur parce que leur créatrice « osa s’abaisser » jusqu’à pouvoir faire gracier : quatre soldats condamnés à mort, vingt-six autres personnes menacées de déportation ou de détention, qu’elle arracha plusieurs vies au néant et plusieurs familles au désespoir ! C’est vraiment révoltant, n’est-ce pas ?

On peut donc pardonner à George Sand sa contrariété de voir sa seconde lettre à M. de Persigny publiée : elle savait trop de combien d’esprit et de cœur font preuve ses vénérables coreligionnaires, en jugeant les choses et les hommes.

  1. Edgard Quinet : Lettres d’exil.