Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/35

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n’a point envie de nous attaquer, et de ce côté-là, nous sommes bien forts. Je vois tous les jours nos gouvernants. Us ont bien de l’embarras, comme on dit chez nous ; mais la plupart ont envie de bien faire…

Vive la République ! — écrit-elle à Poncy, le 9 mars. — Quel rêve, quel enthousiasme et en même temps quelle tenue, quel ordre à Paris !

J’en arrive, j’y ai couru, j’ai vu s’ouvrir des dernières barricades sous mes pieds. J’ai vu le peuple grand, sublime, naïf, généreux, le peuple français réuni au cœur de la France, au cœur du monde ; le plus admirable peuple de l’univers ! J’ai passé bien des nuits sans dormir, bien des jours sans m’asseoir. On est fou, on est ivre, on est heureux de s’être endormi dans la fange et de se réveiller dans les cieux. Que tout ce qui vous entoure ait courage et confiance !

La République est conquise, elle est assurée ; nous y périrons tous plutôt que de la lâcher. Le gouvernement est composé d’hommes excellents pour la plupart, tous un peu incomplets et insuffisants à une tâche qui demanderait le génie de Napoléon ou le cœur de Jésus. Mais la réunion de tous ces hommes qui ont de l’âme ou du talent, ou de la volonté, suffit à la situation. Ils veulent le bien, ils le cherchent, ils l’essayent. Ils sont dominés sincèrement par un principe supérieur à la capacité individuelle de chacun, la volonté de tous, le droit du peuple. Le peuple de Paris est si bon, si indulgent, si confiant dans sa cause et si fort, qu’il aide lui-même son gouvernement.

La durée d’une telle disposition serait l’idéal social. Il faut l’encourager.

… Tous mes maux physiques, toutes mes douleurs personnelles sont oubliés. Je vis, je suis forte, je suis active, je n’ai plus que vingt ans.

… Allons, j’espère que nous nous retrouverons tous à Paris, pleins de vie et d’action, prêts à mourir sur les barricades si la République succombe. Mais non ! la République vivra ; son temps est venu. C’est à vous, hommes du peuple, à la défendre jusqu’au dernier soupir[1].

Trois jours plus tôt, le 6 mars, elle écrit à son vieil ami Girerd qui venait d’être nommé, grâce à elle (quoiqu’elle le nie), commissaire du gouvernement provisoire, et le ton de sa lettre dénote le même optimisme débordant :

… Tout va bien. Les chagrins personnels disparaissent quand la vie publique nous appelle et nous absorbe. La République est la meilleure

  1. Correspondance, t. III, p. 9-12.