Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/441

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J’ai enfin lu votre livre et allant droit au fait avec la franchise que commande l’estime fraternelle, je vous dirai pourquoi je n’ai pas parlé du protestantisme avec une entière sympathie. C’est parce que, dans le présent, le protestantisme n’a pas fait sur toute la ligne, comme on dit d’une armée, le pas décisif et nécessaire qu’il devait, qu’il doit faire, sous peine de tomber dans le même discrédit que le catholicisme. Le protestantisme, à qui je pardonnerais jusqu’à un certain point de concevoir la divinité de Jésus, parce que ce dogme ne choque que la raison et trouve son excuse dans le sentiment, — le protestantisme, dis-je, n’a point abjuré le dogme de l’enfer qui révolte la raison, la conscience et le sentiment.

Depuis que j’ai publié Mademoiselle La Quintinie, j’ai reçu beaucoup de lettres et d’écrits protestants. J’ai été renseignée sur la situation des esprits et des cœurs dans l’Église réformée et j’ai vu avec une grande satisfaction qu’un assez grand nombre de ses membres avait accompli le double progrès que réclamait ma conscience. Je le dirai à l’occasion.

Vous dites d’excellentes choses dans votre Essai sur la tolérance.

Vous les dites bien, avec noblesse et simplicité. Toutes vos critiques du catholicisme portent juste et sur la question historique, tout ce qui est digne du nom d’homme vous donne aujourd’hui raison.

Mais vous arrivez à la doctrine de tolérance proclamée par Jésus-Christ, et je vois là, dans le texte sacré, des monstruosités qui m’arrêtent. Jésus croit à l’enfer et il aime à y croire. Son régime de douceur et de miséricorde, il en croit l’homme capable, puisqu’il le lui enseigne, mais il le refuse à Dieu. Il compte que son père le vengera, il espère que la vertu de ses disciples amassera des charbons ardents sur la tête de leurs persécuteurs, il condamne ceux-ci à la géhenne du feu. Enfin, s’il a dit les paroles qu’on lui prête, sa mansuétude ne serait qu’une politique habile, et son cœur, transportant le châtiment de ses adversaires dans l’éternité, eût recelé des trésors d’intolérance et de colère : ou Jésus-Christ n’a jamais dit ces paroles, ou Jésus-Christ n’est pas Dieu. Il faut choisir, et vous deviez ici nous enseigner et vous prononcer. Ôtez l’enfer et vous qui comprenez si bien le pardon des injures sur la terre, ne faites pas Dieu au-dessous de votre image. Si Jésus est le fils de Dieu, affirmez qu’il n’est pas au-dessous de son père et que ce qu’il a défié sur la terre est délié dans le ciel. Affirmez qu’on l’a outragé en remplissant sa bouche de menaces et de malédictions.

S’il n’est pas Dieu, pardonnons-lui d’avoir eu les superstitions et le imperfections de son temps et de son milieu, mais ne passons point