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Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/442

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à côté d’une question si grave. Il n’y a pas de tolérance qui tienne et vos propres arguments contre l’impossibilité de tolérer l’intolérance sont ici dans toute leur force. Détrônons ce faux dieu, ou déchirons les pages sacrées qui le calomnient.

Vous ouvrez la porte à la liberté d’interprétation, je le sais, mais pour que les esprits éclairés et les âmes vraiment aimantes se rallient à votre Église, il faudra bien l’ouvrir toute grande, cette porte au delà de laquelle on veut voir le vrai Dieu. Ministres de la foi, vous la tenez entre-bâillée, cette porte du ciel, elle n’est ni ouverte ni fermée. Prenez-y garde, les nouvelles générations n’y passeront pas si l’enfer est au seuil.

Pardonnez-moi de vous dire tout cela, mais soyez sûr que ce n’est pas ma croyance personnelle qui veut entrer en lutte avec la vôtre. Je porte en moi la conscience du genre humain. Elle est en vous également, consultez-la, écoutez-la, elle vous dira qu’il faut qu’une des deux Églises qui se partagent les croyances actuelles fasse un pas décisif dans la vérité et la justice. Il y a mille à parier contre un que l’Église romaine périra sans transiger tandis qu’il semble aujourd’hui que le protestantisme commence à s’ébranler devant le monde affamé, enfiévré de progrès. Si vous êtes du côté de ce mouvement qui peut nous sauver du matérialisme[1], je suis avec vous, monsieur, et rien d’irrémédiable ne nous sépare. Sinon ne vous étonnez pas qu’avec tous les libres penseurs de mon temps, je ne veuille être ni avec les protestants, ni avec les catholiques.

Et croyez quand même à mes sentiments affectueux et distingués.

George Sand.
Nohant, 21 août 63.

Le baptême protestant du petit Marc-Antoine est raconté dans une série de lettres du printemps 1864, époque de la première de Villemer et de l’installation de Mme Sand à Palaiseau ; nous donnerons plus loin ces lettres intégralement, sans en rien citer ici.

  1. George Sand souleva dans plusieurs de ses écrits la question du matérialisme si répandu dans le monde contemporain et si attristant selon elle. Dans son écrit À propos de Madelon, d’Edmond About, tout en félicitant le jeune auteur de ses heureux débuts, elle lai faisait remarquer que son héros, si indigné contre les lâches et les nigauds qui l’entourent, pèche lui-même par le même défaut, car il ne croit à rien et n’est guidé par aucun idéal. Cet article parut dans la Presse en 1863, et est réimprimé dans le volume des Questions d’art et de littérature.