Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/454

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signer à ses collaborateurs : « Je souscris de ne toucher dans mon œuvre ni à la politique, ni à la religion, ni à la famille, ni à la propriété. » L’Académie dit : « Évitez les nouvelles opinions, » et elle ajoute : « L’absence d’opinions nouvelles, c’est là l’opinion des honnêtes gens. » Ou voit que quelque damasquinées et quelque ornées de fleure oratoires que soient les lames à l’Académie, on n’en porte pas moins des coups fort rudes, car les gens qui ont des opinions nouvelles sont déclarés « malhonnêtes ».

Pourquoi donc les femmes aspireraient-elles à faire partie de ce corps illustre ? Là, comme partout ailleurs, on lutte, on se bat. Or, s’il y a lutte, il n’y a plus d’unité. Donc à l’Académie les choses en sont au même point que dans toutes les autres institutions possibles. À présent quarante hommes du plus grand talent ne peuvent ni faire accroître, ni diminuer la valeur d’un quarante-unième talent, même secondaire, s’il émet, tant bien que mal, une idée nouvelle ou généreuse que la foule écoute. À présent chacun est son roi et son pape. Ne voulant nullement amoindrir la valeur de l’Académie, en lui accordant au contraire sans contredit le droit de ne pas admettre dans son milieu d’éléments en désaccord avec ses opinions ; en admettant que si ce ne sont pas là quarante génies, il se trouve toujours parmi eus quelques esprits de premier ordre et beaucoup d’hommes de grand talent et de grand savoir, il faut néanmoins convenir que l’Académie n’a plus sa raison d’être. Chaque écrivain a le droit de discuter avec elle et d’en appeler à l’opinion publique. À présent encore il y a bon nombre de gens qui, n’étant pas parvenus à être admis à l’Académie, s’écrient : « Ces raisins sont trop verts. » Non, conclut George Sand : « Ces raisins sont déjà trop mûrs… »

Les raisons intéressantes qui poussèrent George Sand à répondre à l’auteur anonyme de la première brochure citée, sont données dans sa lettre à Sainte-Beuve, du 16 juin 1863 :

… J’ai dit à Aucante de vous envoyer une mince brochure que, j’ai été mise en demeure de faire en réponse à une autre brochure sur l’admission de la femme à l’Académie. J’espère qu’on ne verra là aucun dépit personnel. Je n’ai pas le temps d’avoir de mauvaises passions ; mais je me devais de ne pas me laisser attribuer une brochure signée d’un S, et de n’avoir pas l’air de me laisser pousser à un honneur par trop invraisemblable. Déjà, on m’en attribuait la pensée, et j’étais comme l’homme qui reçoit de l’ours, son ami, un pavé en pleine figure. Le pavé était très paré de fleurs, n’importe, c’était un pavé.

Je devais d’ailleurs dire ce que je pense de toute situation de ce genre et je ne pouvais le dire qu’avec mon sentiment révolutionnaire