Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/460

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térieuse de la nature. Il se rend très bien compte que la nymphe et ses paroles ne sont qu’une création de sa fantaisie, mais qu’importe !

« Tous les linguistes et tous les musiciens de l’univers seraient ici à lui jurer que le langage de ce ruisseau ne peut être ni traduit ni noté », qu’il ne le croirait pas.

Tout parle et chante sous le ciel et probablement dans le ciel ; qui osera décider que, dans la nature, il y ait une voix inutile, un chant qui n’exprime rien ? Non, il n’y a pas même un cri, un souffle, un rugissement, un murmure, une explosion, un bruit enfin qui ne signale ou ne traduise une action, un mode d’existence ou un accident logiquement survenu dans le cours de la vie universelle… Oui, tout chante et tout parle dans l’univers pour proclamer incessamment l’éternelle vitalité de l’univers. L’homme seul, en ce monde-ci, sait affirmer une existence par beaucoup de vérités et beaucoup de mensonges. Tout le reste des êtres et des choses exprime le fait de l’existence sans le comprendre. Tout ce que la terre fait dire aux innombrables voix qui émanent d’elle, est donc pur et d’une logique indiscutable, puisque c’est la logique même de son ordonnance qui parle en elle. Nous, ses plus hardis enfants, nous cherchons à travers mille erreurs une affirmation raisonnée qui réponde sciemment au sens profond et divin des choses, une affirmation qui nous he non seulement à la planète notre mère mais à l’univers entier notre patrie, malheureusement nous sommes encore loin de comprendre notre destinée sublime tandis que le monde des êtres secondaires et des choses appelées à les constituer proclame, en dehors des combinaisons de l’intelligence, une vérité qui nous écrase par sa persistante splendeur.

Respectons-les dans leurs profondes manifestations, ces choses et ces êtres qui ne comprennent pas Dieu comme nous le comprenons, mais qui le sentent peut-être mieux que nous ne le sentons. C’est le monde sans souillure et sans défaillance où la mort n’est pas encore connue, puisqu’elle n’excite ni crainte ni désir, c’est le monde où la lassitude, où le suicide ne sont jamais entrés, où l’erreur et l’imposture n’ont point de place et ne peuvent rien changer, rien déranger, rien retarder dans les lois de la vie elle-même, dans son développement sans lacune et dans son renouvellement sans entraves. C’est la progression du grand tout qui s’accomplit à son propre insu, et dont la sainte ignorance est la base de toute sécurité dans l’univers.

Oui, oui, petit ruisseau, tu chantes et tu parles, et ce que tu dis, tu ne peux ni ne dois t’en rendre compte qu’à toi-même, puisque ton moi est un avec l’infini…