Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/501

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prise de possession de moi-même un grand bien-être, une sorte de joie douce et tranquille. Je me dis : Voilà le bonheur ! Salut, hôte inconnu ! permets-moi d’examiner ta figure, de t’interroger, d’éprouver ta puissance et ta durée… Mais je suis un enfant de mon siècle, un chercheur et un sceptique. Ne prends pas le bon accueil que je te fais pour une idolâtrie aveugle. Je sais très bien que tu es inconstant et que, comme Ahasvérus, tu ne peux t’arrêter ni chez moi, ni chez le voisin. Tu es une chose de ce monde, mon aimable hôte, une chose humaine, tu ne peux pas me promettre le paradis, tu ne le connais pas mieux que moi et prends garde que je ne te connaisse trop moi-même, car je pourrais bien apercevoir que tu n’es qu’une création de ma pensée, un état de mon esprit, un souffle, une ombre, un parfum…

Et de même M. Sylvestre, si croyant qu’il soit, défend le droit à l’existence des athées.

Place aux athées ! dit-il. Ne sont-ils pas comme nous (spiritualistes) tournés vers l’avenir ? Ne combattent-ils pas comme nous les ténèbres de la superstition ? Et faut-il qu’au lieu de terrasser l’ennemi commun. nous perdions le temps et dépensions l’énergie à nous exclure les uns les autres du champ de bataille ? Non… les sceptiques et les athées sont nos frères ; ils apportent des matériaux pour le nouveau temple. Ne dites pas que la négation ne crée rien. Elle crée la notion de la liberté de conscience qui est la base sans laquelle on ne constituera jamais rien… Plutôt que de croire à la méchanceté de Dieu, nie son existence. Redeviens incrédule plutôt que de te faire égoïste. Dieu n’aime pas les enfants lâches.

George Sand est, en disant tout cela, bien près de l’idéal de scepticisme, d’examen critique et de doux éclectisme que lui prêchait jadis Sainte-Beuve. Il n’est point étonnant que l’auteur de Monsieur Sylvestre ait inscrit sur la couverture de ce volume envoyé à Sainte-Beuve les paroles que nous avons déjà citées dans notre tome I : À Sainte-Beuve, douce et précieuse lumière dans ma vie.

Il est très curieux de noter, aussi, dans les personnages et les dialogues du riche banquier espagnol M. Gédéon-Nunez et le pauvre juif M. Diamant le reflet de la correspondance entre l’auteur de ce roman et le capitaliste israélite M. Édouard Rodrigues, correspondance où les questions sociales, économiques,