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À Maurice.
Palaiseau, 21 août 1865.

Notre pauvre ami a cessé de souffrir. Il s’est endormi à minuit avec toute sa lucidité. Toute la nuit il a dormi et quand nous avons voulu l’éveiller à 5 heures pour lui faire prendre quelque chose il a essayé de parler sans suite comme dans un rêve. Il a tenu sa tasse, il a voulu être soulevé et il est mort sans en avoir aucune conscience et sans paraître souffrir. Je remercie Dieu, au milieu de ma douleur, de lui avoir épargné les horreurs de l’agonie. Il en a eu une de quatre à cinq mois, c’est bien assez. Il s’est bien senti mourir heure par heure, constatant chaque progrès de son mal, mais se faisant encore de temps en temps des illusions et se soignant comme un homme qui ne s’abandonne pas un instant. Je suis brisée de toutes façons, mais après l’avoir habillé et arrangé moi-même sur son lit de mort, je suis encore dans l’énergie de volonté qui ne pleure pas. Je ne serai pas malade, soyez tranquilles, je ne veux pas l’être, je veux aller vous rejoindre aussitôt que j’aurai pris tous les soins nécessaires pour ses pauvres restes, et mis en ordre ses affaires et les miennes qui sont les vôtres.

Apprends avec ménagement cette triste nouvelle à ma chérie. Du reste elle devait bien s’y attendre. Je ne me faisais plus d’illusion et je vous le disais.

Je vous embrasse mille fois, aimez-moi bien.

À monsieur Oscar Cazamajou[1].
Palaiseau, 22 août 1865.

Cher enfant, je l’ai perdu, cet admirable compagnon de ma vie depuis quinze ans, ce soutien dévoué de ma vieillesse. Il est mort hier matin sans agonie, et, je l’espère, sans savoir qu’il mourait, quoiqu’il connût et sentît bien depuis longtemps la gravité toujours croissante de son mal. Mais il avait encore beaucoup de moments d’illusion que j’ai entretenus avec tout le courage dont je suis capable. Il a eu bien du courage aussi pour s’efforcer de vivre ; il est resté debout jusqu’à ce qu’il n’ait pas pu se porter. J’ai pensé deux fois à t’écrire, mais cette fin inévitable n’avait pas de terme qu’on pût fixer, et je ne voulais pas t’enlever à ta femme souffrante[2] et à tes affaires pour un temps

  1. Fils de la demi-sœur de Mme Sand, Mme Caroline Cazamajou. George Sand avait intercédé pour lui auprès des hauts fonctionnaires militaires, en 1852. (Voir plus haut, chap. ix.) Elle avait beaucoup d’amitié pour ce neveu, qui la lui rendait de son côté.
  2. Mme Herminie Cazamajou.