Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/516

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

donc en bas ; je dormirai et je travaillerai à l’entresol. Quand Bouli viendra me voir je pourrai le loger et le faire manger, s’il ne veut pas courir d’un bout à l’autre de Paris. Plus tard, quand tu pourras y venir, nous aviserons à nous arranger mieux. Mais je ne suis pas en mesure maintenant d’avoir un loyer de 1&#8239 ; 500 francs, et autour de l’Odéon et du Luxembourg il faut 1&#8239 ; 500 francs pour avoir l’équivalent de ce que j’ai maintenant rue des Feuillantines pour 850 ; pour 1 500 francs vous n’auriez pas non plus ce que vous avez maintenant… Je vous conseillerai fort de vous loger dans ma maison. Il y a pour 900 francs et 1 000 francs des appartements très jolis et doubles du vôtre.

… J’ai été au spectacle, j’ai vu l’ouverture de l’Odéon… Pièce d’ouverture stupide, jouée par Mme Duche. Elle est bien mise, voilà tout… J’ai vu les Deux sœurs avec Boutet, c’est mauvais, insensé, ennuyeux à avaler sa langue. J’ai vu hier au Français avec Sylvanie le Supplice d’une femme[1], c’est émouvant, c’est bien joué, c’est d’une facture habile, et bien qu’on soit un peu en colère contre la pièce[2] on ne peut pas s’empêcher de pleurer beaucoup. Je n’ai pas vu Buloz, je sais qu’il n’a pas encore lu le Coq[3], il m’écrira… Je vais passer ici

  1. Pièce écrite en collaboration par Dumas fils et Em. de Girardin, et qui fut la cause d’une querelle, d’une polémique acharnée et finalement d’une inimitié à mort des deux ex-amis. (Voir à ce sujet les Entractes, par Dumas fils, vol. II.)
  2. Dans sa lettre à Dumas, écrite à la même date que ces lignes, Mme Sand dit que c’est la partie écrite par M. de Girardin qui lui avait déplu.
  3. Roman de Maurice Sand, le Coq aux cheveux d’or. La publication de ce roman fit faire à Mme Sand la connaissance du célèbre éditeur et critique Albert Lacroix, qui devint bientôt et resta toujours l’ami de tous les Sand, mère, fils, belle-fille et petites-filles. Albert Lacroix raconta l’histoire de ses rapports avec l’illustre femme dans ses très intéressants Mémoires d’un éditeur publiés dans la Revue internationale de 1898.
    Nous eûmes le plaisir de faire la connaissance de cet excellent homme, d’un désintéressement, d’une culture et d’une science vraiment rares, encyclopédiques, en 1898, à Nohant. Il avait alors plus de soixante-dix ans ; nos relations furent d’emblée très amicales. Le culte que nous professions pour George Sand fut le point de départ de cette amitié, et la généreuse habitude du charmant vieillard de prendre à cœur les intérêts d’autrui, si ces intérêts avaient quelque rapport à la littérature ou à la science, fit qu’il témoigna à l’égard de notre travail un intérêt et une sympathie vraiment paternels.
    Plus tard nous eûmes l’occasion de visiter M. Lacroix et sa charmante famille, si laborieuse, si éclairée, dans son petit appartement de la rue Vergne ; la modestie de cette demeure n’empêchait pas qu’elle fut toujours le point de réunion d’amis nombreux — portant la plupart des noms, connus de tout homme instruit en Europe — ou bien leurs veuves ou leurs sœurs. Et c’était pourtant un éditeur ! Mais cet éditeur perdit toute sa fortune à enrichir les auteurs, et cet écrivain dut, jusqu’à la fin de sa vie, travailler pour ne pas mourir de faim. Ce fut un coup très sensible pour nous lorsque nous apprîmes à Paris, en 1904, lors du centenaire de George Sand, que notre vieil ami