Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/529

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mésalliance monstrueuse. On était bien alors, par le fait, l’égale, moins que l’égale du pauvre paysan breton. On était une pauvre brigande, bien heureuse de recevoir cette généreuse hospitalité et cette magnanime protection. Sous la Restauration, on ne l’avait pas oublié sans doute. On recevait dans son salon le premier paysan venu, pourvu qu’il eût au coude le brassard sans tache. On filait la quenouille des bergères, on avait des touchants et affectueux souvenirs ; mais on n’en était pas moins Mme la marquise, et cette fausse égalité ne pouvait pas tromper le paysan. Si le fils de Pierre Riallo se fût présenté pour épouser Louise ou Laurence de La Rochejaquelein, on l’aurait considéré comme fou. Le fils des croisés, M. de La Rochejaquelein, aujourd’hui orateur politique, ne serait pas volontiers le beau-frère de quelque laboureur armoricain. Eh bien, Pierre Riallo, c’est bien là réellement comme un symbole pour personnifier le peuple vis-à-vis de la noblesse. On se fie à lui, on accepte ses sublimes dévouements, ses suprêmes sacrifices, on lui tend la main. On se fiancerait volontiers à lui aux jours du danger, mais on lui refuse, au nom de la religion monarchique et catholique, le droit de vivre en travaillant, le droit de s’instruire, le droit d’être l’égal de tout le monde ; en un mot, la véritable union morale de castes, on frémit à l’idée seule de la ratifier[1].

Oui, que fût-il vraiment arrivé si l’humble et dévoué paysan s’était indigné de cette manière de le traiter ?

Cette question sert de thème au développement psychologique du caractère et des actes de Cadio-Riallo dans le roman de George Sand. L’élévation naturelle de son âme se cache sous les dehors d’un « simple «, quasi un niais, et fait de lui un héros d’abnégation, mais son amour pour la jeune aristocrate (appelée Louise de Sauvières — en souvenir de Louise de La Rochejaquelein), — et la fureur qu’il ressent en voyant qu’on use de lui — son sauveur, lui qui a sacrifié sa vie pour cette jeune fille, — comme d’un moyen de salut, font de cet être mi-conscient, de ce doux innocent, un républicain extrême, un fanatique, un ennemi sanguinaire et implacable de tous les blancs. Un autre personnage, an contraire, commet une série de cruautés et court à sa perte parce qu’au lieu d’agir selon sa conscience il se laisse guider par une doctrine politique aveuglément acceptée.

  1. Histoire de ma vie, vol. III, p. 122-26.