Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/545

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La gaieté est la meilleure hygiène de l’esprit et du corps, dit Mme Sand ; se porter bien n’a pas d’autre raison que la gaieté.

Et la discussion commence pour n’en finir plus. Le capitaine Talma et Edmond Adam, tous deux mélancoliques, protestent contre la gaieté perpétuelle. L’un des deux, approuvé par l’autre, a l’imprudence de dire que l’extrême gaieté comme l’entendent parfois Mme Sand et Maurice « entame la dignité ». C’est un haro, un tollé.

Mme Sand devient tout à coup très sérieuse. Elle est éloquente et prouve qu’il n’y a de bonté durable qu’alimentée par la gaieté, que les tristes ne sont pas foncièrement bons.

— La gaieté c’est comme la bonté, dit Talma, pas trop n’en faut !

— Mais, malheureux ! sans bonté les sociétés se rongent, se dévorent.

— Les sociétés vivent par l’intelligence.

— L’intelligence sans bonté fait des brutes, des plus brutes que mon chien Fadet qui est bon.

— Et que fait la bonté sans intelligence ?

— Il n’y en a pas ; n’est pas bon qui n’est pas intelligent.

— Mais votre chien Fadet ?

— Il est comme moi ; bon d’abord, intelligent ensuite. La bonté, ajoute Mme Sand, c’est l’atmosphère dans laquelle se vivifient les sociétés, c’est l’attirance du divin sur la terre. Il n’y a que bonté dans les voies de la vie supérieure. Si l’on étudiait les lois de la bonté, on y trouverait jusqu’aux attractions des mondes les uns pour les autres. Il me semble qu’ils s’entr’aident avec bonté entre eux, pour maintenir les équilibres et l’ordre dans la matière, ajoute-t-elle en riant.

— Oh ! ça, c’est trop fort, c’est du charabia, s’écrie le capitaine.

— C’est de la noyade, ajoute Adam. Voilà ce qui arrive à ceux qui piquent des têtes dans l’universel.

— Que ces gens-là, dit Maurice, en désignant le capitaine et Adam, ont comme qui dirait leurs crânes trop étroits pour avoir celui de s’ingurgiter les idées de la colonelle ; pour quoique l’un est marsouin et l’autre pékin ? Fusilier Plauchut, ajouta le sergent, fusilier Planet, cantinière Juliette, saluez notre chef, George Sand, et un pied de nez à ces autres-là !

Le tout fut fait en trois mouvements.

Puis Maurice nous donna, à Mme Sand, à Alice, à moi un panier vide, tandis qu’il chargea outre mesure celui des fusiliers Plauchut, Planet et le sien. La colonelle me prit le bras, tandis que Talma et Adam causaient en arrière, que Topaze et Maurice conversaient en langage « pioupiou ».