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Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/596

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ou puéril, irritable ou tendre à notre manière ; fantasque, si son caprice agit sur notre monde, sophistique et casuiste s’il nous attend après la mort pour nous indemniser du tort qu’il nous a fait durant la vie. Le dialogue avec ce Dieu-là m’est impossible, je l’avoue. Il est effacé de ma mémoire, je ne saurais le retrouver dans aucun coin de ma chambre. Il n’est pas dans le jardin non plus. Il n’est ni dans les champs, ni sur les eaux, ni dans l’azur plein d’étoiles, ni dans les églises où les hommes se prosternent ; c’est un verbe éteint, une lettre morte, une pensée finie. Rien de cette croyance, rien de ce Dieu ne subsiste plus en moi.

Et pourtant tout est divin. Ce beau ciel, ce feu qui m’éclaire, cette industrie humaine qui me permet de vivre humainement, c’est-à-dire de rêver paisiblement sans être gelé comme une plante, cette pensée qui s’élabore en moi, ce cœur qui aime, ce repos de la volonté qui m’invite à aimer toujours davantage : tout cela, esprit et matière, est animé de quelque chose qui est plus que l’un et plus que l’autre, le principe inconnu de ce qui est tangible, la vertu cachée qui fait que tout a été et sera toujours. Si tout est divin, même la matière, si tout est surhumain, même l’homme. Dieu est dans tout, je le vois et je le touche, je le sens puisque je l’aime, puisque je l’ai toujours connu et senti, puisqu’il est en moi à un degré proportionné au peu que je suis. Je ne suis pas Dieu pour cela, mais je viens de lui et je dois retourner à lui, il ne m’a ni quitté, ni repris, et ma vie d’à présent ne me sépare de lui que dans la limite où je dois être tenu par l’état d’enfance de la race humaine…

C’est là une théorie parfaite du panthéisme. Selon George Sand, ce n’est nullement « une perte du sens religieux comme l’affirment les idolâtres persistants ». Au contraire, c’est un pas en avant. C’est une « restitution de la foi à la vraie divinité »… « C’est une abjuration des dogmes qui lui faisaient outrage. » Ce n’est ni par des visions, ni par des miracles, que l’homme entre en rapports avec Dieu, ni par l’extase, « état maladif » de notre âme[1].

Non, c’est la partie la plus subtile et la plus exquise de notre être qui tressaille à l’idée de Dieu. L’usage trop répété de cette faculté nous rendrait fous, les pratiques journalières dans des formules con-

  1. Très curieux à confronter ces lignes avec ce que George Sand disait de l’extase en 1840, à propos de Mickiewicz. (Voir notre vol. III, p. 201 et suiv.)