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ROMAIN D’ÉTRETAT.

qui se disputent des chalands à coups de fusil et de canon, et cherchent des prétextes pour échiner d’autres épiciers plus habiles ou plus heureux, mais comme des frères d’une grande famille qui, obéissant aux instincts que la Providence a mis en eux, se sont divisé le travail sur cet immense atelier que nous habitons.

La preuve que, pour beaucoup, l’amour de la patrie n’a été que le masque d’un égoïsme à trente millions d’hommes ; la preuve que les gens du même pays ne s’aiment que de complicité contre ceux des autres pays, c’est que les habitants du même pays se font bien plus de mal entre eux qu’ils n’en font d’ordinaire aux habitants des contrées voisines. Le vol, la calomnie, l’assassinat se pratiquent bien plus entre gens du même pays, les uns sur les autres, qu’à l’égard des étrangers, que l’on n’attaque, pille et tue qu’avec certaines restrictions et selon certaines règles. Un soldat à la guerre a toujours nécessairement beaucoup plus à se plaindre du prince pour lequel il combat que de celui contre lequel il combat.

Des habitants d’une frontière ne pourraient