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CONTES ET NOUVELLES.

tracer une ligne si ferme, qu’elle n’appartînt pour moitié à un pays, pour moitié à l’autre pays. Certes, vous avez plus de ressemblances, plus de liens de mœurs, d’habitudes, de besoins avec l’ennemi qui est de l’autre côté de la ligne, qu’avec votre compatriote qui est à quatre cents lieues de vous, et ignore votre existence, comme vous ignorez la sienne.

Sur cette ligne est une touffe d’herbe ; est-il raisonnable que vous en aimiez la moitié, que cette moitié fasse partie des riantes prairies de votre belle patrie, et que vous vouliez l’engraisser avec le sang impur de ceux à qui appartient l’autre moitié de la touffe d’herbe ?

À côté de la touffe d’herbe, il y a un caillou ; il peut se séparer en deux. Avec une moitié, vous casserez la tête de l’ennemi ; avec l’autre moitié, il « cassera vos dents dans votre mâchoire ; » Ossa inimici in ore perfringam. Ce préjugé est encore plus bizarre quand il s’agit des Anglais et des Français. Ils ne sont pas séparés par une ligne, par une touffe d’herbe, par un caillou ; ils ont entre eux le terrible et majestueux Océan, une route qui conduit de l’un chez