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CONTES ET NOUVELLES.

Toujours est-il que maître Pierre et son ami — flavo inflati Iaccho — sortirent fort chancelants du cabaret où ils avaient passé plusieurs heures sous une tonnelle de sureau. Tant qu’ils n’avaient été qu’un peu ivres, le cidre n’avait développé chez eux que des sentiments tendres ; mais, à un degré plus intense, une vertu hargneuse, l’orgueil de la patrie, prit des proportions exagérées. Maître Pierre est Normand, né à Yport, près de Fécamp ; son ami est Breton. Celui-ci dit à l’autre :

— Tiens, tu es un brave ; c’est dommage que tu n’es pas Breton, comme il convient à un honnête homme.

— Crois-tu, dit Pierre qu’un Normand ne vaut pas un Breton ?

La question n’avait pas tardé à s’envenimer, si bien qu’ils se lancèrent d’abord les dictons faits contre les deux provinces, puis les verres et les pots. Le cabaretier les leur fit payer, et les mit dehors. Ils s’en allèrent côte à côte sans rien dire. Au bout d’un quart d’heure, Pierre dit à son ami :

— Yvon, je veux ta vie.