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ROMAIN D’ÉTRETAT.

— Viens la prendre, dit Yvon en se mettant sur la défensive.

Nos deux hommes étaient à ce moment au plus haut degré de l’ivresse ; leurs jambes ne pouvaient plus les soutenir. Ils s’avancèrent l’un sur l’autre ; mais le bras de Pierre, levé avec colère, se posa engourdi sur l’épaule d’Yvon. Yvon également s’appuya sur Pierre et tous deux, heureux de trouver l’un dans l’autre un appui devenu indispensable, abjurèrent leur haine, et restèrent étayés en arc-boutant, formant à eux deux une sorte d’A.

Je ne sais combien de temps ils seraient restés dans cette position, si les enfants qui sortaient de l’école ne les avaient aperçus ; ils s’étaient alors rangés en cercle, et avaient, à un signal, entonné avec un remarquable ensemble la chanson déjà citée : « Ils auront mal à la tête demain. » Cette mélopée avait réveillé les deux champions ; ils avaient d’abord voulu se mettre en colère, et poursuivre les enfants ; mais ceux-ci s’étaient enfuis, et avaient reformé plus loin un cercle plus large. Les deux amis se séparèrent alors, et chacun prit la route de son logis. Les enfants se di-