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UNE AVENTURE TÉMÉRAIRE

qu’un Tartare, enchanté et magicien avait ouvert la porte d’Ouest brisant ses barreaux comme des fétus de paille.

Mais bientôt un cor de guerre résonna sur toute la ville, attirant les habitants à la porte occidentale où un spectacle étrange et affreux les attendait.

Sur la plate-forme, au-dessus de la porte, étaient assis en cercle des êtres silencieux — les vieux chefs de Kief, portant sur leurs cheveux la neige des longs hivers, et les cicatrices de maintes batailles, sur leurs visages usés par les temps. Au milieu du cercle, inflexible et immobile comme une statue, dominait la puissante stature de Sviatagor et à côté de lui, plus pâle que d’habitude, apparaissait Sylvestre.

Vis à vis de ses juges assemblés, les mains liées derrière le dos et les chevilles attachées par une lanière de cuir, se dressait le traître Ostap. Rien ne semblait vivre en lui, sauf ses yeux gris où une étincelle de férocité languissait.

Le soleil levant éclairait une foule compacte tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des murailles. Toute la population de Kief était entassée dans l’espace peu large de la porte d’Ouest, pendant que les masses noires de l’armée tartare, attirées aussi par les sons du cor, s’amassaient au pied de la colline regardant, de leurs petits yeux brillants, ces quelques visages sombres, au sommet de la muraille, se silhouettant sous le ciel brillant du matin.

Dans un silence morne et sinistre, Sviatagor se leva lentement et cria d’une voix semblable au rugissement d’une tempête hivernale à travers les forêts de pins :

— « Guerriers de Kief ! vous voyez cet homme ; nous avons eu confiance en lui et nous l’avons chéri comme un frère. Vous allez entendre ce qu’il a fait et, vous-mêmes, vous serez ses juges. »

Il fit un signe, et Cyril, s’avançant d’un pas, raconta comment il avait suivi Ostap, la veille, sans être aperçu, et comment il avait entendu son signal aussitôt répété par les Tartares à l’extérieur de la ville et la façon dont il avait abattu le traître au moment celui-ci allait faire pénétrer dans la garnison, des troupes ennemies.

Les soldats qui avaient vu Ostap sans connaissance tenant encore un barreau de la porte en main, confirmèrent les paroles de Cyril ; d’autres déclarèrent que c’était ce traître qui les avait fait quitter leur poste en les appelant à la porte du fleuve.

— « Père Sylvestre, », demanda Sviatagor, « n’avez-vous rien à dire ? » Le moine rencontra un regard de haine mortelle que lui lança le prisonnier et répondit avec son calme habituel :

— « Non, rien. »