Page:Ker - Cyril aux doigts-rouges ou le Prince Russe et l'Enfant Tartare, 1917.djvu/53

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
50
CYRIL AUX DOIGTS-ROUGES

En réalité, on se méprenait, car Sylvestre avait été longtemps le chef réel de la garnison et la vie et l’esprit de ses héroïques défenseurs. Qu’il donnât des ordres et qu’on lui obéit semblait tout naturel aux Russes. Tous sentaient instinctivement que c’était lui, Sylvestre, l’homme indispensable.

— Nous pouvons avoir confiance, maintenant, mes enfants ! s’écria-t-il aux êtres maigres, hagards, aux yeux creux qui étaient assemblés autour de lui. Lorsque les hommes se servent du meurtre et de la trahison pour arriver à leur but, ils montrent, par là, que leur cas est désespéré. Les heures les plus sombres arriveront avant l’aube, et nous vivrons cependant pour prier Dieu qui est notre force et qui n’abandonnera pas ceux qui croient en Lui.

Les assiégés avaient bien besoin d’encouragement, car leur détresse était douloureuse. Dans dix jours — comme Cyril leur avait assuré — ils seraient sauvés et le dixième jour était arrivé sans qu’il y ait aucun signe de l’aide promise et tant attendue.

Lentement la journée passa lourde et chaude, et lorsque le soleil commença à descendre vers l’ouest, il semblait aux hommes que l’astre diurne emportait leurs cœurs avec lui. Si les Tartares voulaient encore attaquer sérieusement, l’excitation féroce de la bataille soutiendrait les âmes chancelantes des défenseurs ; mais l’inaction engourdie était ce qu’ils pouvaient le moins supporter.

Ce fut un triste jour ; la nuit était arrivée, lorsque Sylvestre, se tenant près de Féodor dans les créneaux de l’enceinte, entendit un battement d’ailes et un superbe faucon s’abattit vers lui et vint se poser sur son épaule.

— C’est le faucon favori du Prince Vladimir, s’écria Féodor. Des nouvelles, père, des nouvelles enfin !

— Silence ! dit le moine en posant un doigt sur sa bouche ; si les soldats t’entendaient jamais, ils ne pourraient retenir des cris de joie, et mettraient ainsi l’ennemi sur ses gardes.

Mais bien que Sylvestre parlait avec son calme habituel, son cœur battait fièvreusement ; il défit de dessous l’aile gauche du faucon, un morceau de parchemin où la main maladroite d’un de ses élèves — le fils favori de Vladimir — avait écrit ces mots :

Demain soir, lorsque vous verrez un feu sur la Colline Chauve, avancez contre les Tartares. Je serai là.

Vladimir.

Cette Colline Chauve était un mont énorme et haut se trouvant à un mille au delà du camp ennemi. Sylvestre comprit le plan et quelques