Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/131

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seuls. Les femmes étaient-elles donc forcées de dormir tant bien que mal sous l’abri des étouffantes maisons de terre ? Le vagissement impérieux d’un enfant qui sortait d’un toit de terre bas répondit à ma question. Là où sont les enfants on doit aussi chercher les mères. Ils ont besoin de soins par ces nuits accablantes. Une petite tête ronde et noire se montra par-dessus le faîte et une jambe brune et grêle — grêle à faire peine — se glissa par-dessus jusqu’au tuyau de gouttière. Il y eut un rapide cliquetis de bracelets de verre ; un bras de femme surgit un instant par-dessus le parapet, se recourba autour du faible petit cou, et l’enfant fut ramené en arrière, malgré ses protestations, à l’abri du lit. Son piaulement grêle et suraigu s’évanouit dans l’air, presque aussitôt commencé, car même les enfants de cette terre la trouvaient trop brûlante pour pleurer.

Encore des cadavres ; encore des zones de clair de lune, la chaussée blanche ; une file de chameaux endormis à l’étape au bord de la route ; une vision de chacals détalants ; des poneys d’ekka endormis — harnais encore sur le dos, et cuivres des chars rustiques reluisant sous la lune — et de nouveau encore des cadavres. Partout où un chariot à grain incliné, un tronc d’arbre, une bûche sciée, une couple de bambous et quelques poignées de chaume pouvaient… jeter de l’ombre, le sol en est couvert. Ils gisent — les uns la face en l’air, bras croisés, dans la poussière ; d’autres avec les mains entrelacées et rejetées au-dessus de la tête ; d’autres recroquevillés