Page:Kipling - Trois Troupiers et autres histoires, trad. Varlet, 1926.djvu/255

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mon tabac ? il est bon. C’est du tabac de Nuklao. Mon fils, qui est en service là-bas, me l’a envoyé. Fumez donc, sahib, si vous savez vous servir du tube[1]. Le sahib le tient comme un vrai musulman. Ouais ! ouais ! Où a-t-il appris cela ? Ses propres noces ! Ho ! ho ! ho ! le sahib dit qu’il n’est pas du tout question de noces dans l’affaire. Mais quelle apparence que le sahib me dise la vérité, à moi qui ne suis qu’un noir ? Rien d’étonnant, donc, s’il est pressé. Depuis trente ans que je bats le gong à ce gué, je n’ai jamais vu un sahib aussi pressé. Trente ans, sahib ! C’est beaucoup de temps. Il y a trente ans, ce gué était sur la piste des bunjaras[2], et j’ai vu des deux mille buffles de charge traverser en une nuit. À présent le rail est venu, et le char-à-feu fait brou-brou-brou, et cent lakhs de marchandises filent par-dessus ce grand pont-là. C’est très admirable ; mais le gué est abandonné maintenant qu’il n’y a plus de bunjaras pour camper sous les arbres.

Non, ne vous dérangez pas pour aller dehors regarder le ciel. Il pleuvra jusqu’à l’aube. Écoutez ! les blocs de rochers grondent cette nuit dans le lit de la rivière. Écoutez-les ! Ils vous broieraient les os, sahib, si vous tentiez de traverser. Voyez, je vais

  1. Le tube du houka.
  2. Transporteurs de sel.