Page:Kipling - Trois Troupiers et autres histoires, trad. Varlet, 1926.djvu/263

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treillage et à me hisser jusqu’au parapet supérieur. Sahib, l’eau bouillonnait par-dessus les rails sur un pied d’épaisseur. Jugez donc quelle sorte de crue ce devait être. Je n’entendais plus. Je ne voyais plus. Tout ce que je pus faire, ce fut de me coucher sur le parapet et de m’efforcer de reprendre haleine.

Au bout d’un moment la pluie cessa, et apparurent dans le ciel quelques étoiles lavées de frais : à leur lumière je vis que l’eau noire s’étendait à perte de vue et que son niveau avait monté sur les rails. Il y avait des bêtes mortes parmi le bois flotté sur les piles, et d’autres prises par le cou dans la claire-voie, et d’autres pas encore noyées qui s’efforçaient de prendre pied sur le treillage — des buffles et des vaches, et un cochon sauvage, et deux ou trois cerfs, et des serpents et des chacals à ne pouvoir les compter. Leurs corps noircissaient le côté gauche du pont, mais les plus petits d’entre eux étaient poussés de force à travers la claire-voie et emportés vers l’aval.

Un peu plus tard les étoiles moururent et la pluie se remit à tomber, et la rivière monta encore davantage, et je sentis le pont qui commençait à s’étirer sous moi comme on s’étire en dormant lorsqu’on va s’éveiller. Mais, sahib, je n’avais pas peur. Je vous jure que je n’avais pas peur, et cependant je n’avais plus de force dans les membres. Je savais