Page:Koechlin - La Vie musicale pendant la guerre, 1916.djvu/3

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les quelques pages écrites dans cette Gazette à propos de Bérénice L Toutefois, pour l’hommage de notre sympathique admiration comme pour rectifier aussi certaine erreur à son sujet, me sera-t-il permis d’insister quelques moments ? On a semblé croire que cet auteur était une sorte de nationaliste, s’efforçant avec préméditation de réagir contre l’influence wagnérienne et de libérer notre art gaulois. Mais la trace du maître de Bayreuth est chez lui bien visible ; et rappelez-vous sa belle préface de Bérénice[1] [2]. Si Magnard fut « de chez nous », c’est sans avoir décidé ni proclamé qu’il le serait, mais — ce qui vaut infiniment mieux — par sa nature intime et par son amour du sol natal. Il se gardait de tout protectionnisme étroit ; ses modèles furent Wagner et Beethoven. Soit dit en passant, ceci nous montre que subir une influence n’est pas contraire au développement de la personnalité. À Magnard appartiennent en propre ces rythmes vigoureux et sains, aux accents nets, incisifs ; ces sursauts et ces révoltes ; cette mâle vertu ; et cette joie paysanne dont exultent ses admirables scherzos ; et ce sentiment de la campagne, tendre, profond, qui pénètre ses andantes graves et doux[3] ; et, enfin, la noble pureté, aussi aimante que candide, chaste et sensuelle, qui rayonne de ses hymnes d’amour. Ce fier musicien qui prisait si haut l’antique vertu romaine, cet artiste héroïque dont Caton ou Plutarque eussent admiré la mort, son attachement sublime à la Terre et sa résistance quand même, en apparence inutile (mais un bel acte n’a-t-il pas des conséquences incalculables ?), on s’étonne qu’aucune grande Société de concerts n’ait eu, jusqu’à présent, l’ « estomac » de consacrer tout un programme à sa mémoire. Mais il faut le dire en face au public, puisqu’il parait que le public se méfie : son devoir le plus élémentaire serait de s’efforcer à mieux connaître cet œuvre. Or, on m’assure que certaines gens (de « bons musiciens », parait-il), voyant affichée une symphonie de Magnard, s’en écartent avec crainte et préfèrent s’en aller entendre pour la nième fois le Septuor de Beethoven… Misonéisme, veulerie, routine obstinée de l’oreille : non, public paresseux, tu ne fais pas ton devoir !

Mais en attendant que surgisse un jour le nouveau génie qui nous donnera le triomphal « Hymne aux morts » qu’eût écrit Magnard, en laissant de côté les symphonies ignorées qu’élaborent dans le silence les musiciens de l’avenir, passons en revue rapidement les « œuvres de circonstance » que ces deux dernières années nous ont offertes. Ainsi que l’a constaté dans le Temps mon très distingué confrère V.., « il faut que les mélomanes romanesques en prennent leur parti : nous n’aurons pas de musique de guerre ». On avait espéré « qu’un compositeur de génie allait se lever, hagard et sublime, pour entonner un hymne guerrier que toute la France reprendrait en chœur ». Force nous est d’avouer que toutes ces musiques d’actualité n’ajoutent rien à la gloire des illustres qui les ont produites. La Française de M. Saint-Saëns ne me semble point valoir la Marche héroïque à la mémoire d’Henri Régnault, ni surtout la Chanson

  1. V. Gazette clés Beaux-Arts, février 1912.
  2. « Ma partition est écrite dans le style wagnérien », etc.
  3. Notamment celui de la fort belle Seconde Symphonie, si rarement jouée !