Page:Koechlin - La Vie musicale pendant la guerre, 1916.djvu/4

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de grand-père sur les vers de V. Hugo ( « Parlons de nos aïeux… » ). L’excuse de M. Saint-Saëns est qu’un beau chant patriotique demeure la chose le plus difficile et la plus rare. En ce genre particulier, nos maitres les meilleurs sont restés bien au-dessous du modeste officier, musicien amateur, qu’était Rouget de l’Isle. — La Berceuse héroïque de M. Debussy ne vise pas aussi haut que La Française. Je goûte ce tact si naturel à l’auteur de Pelléas, et la sorte de modestie un peu timide qu’il affirme en un domaine qui n’est guère le sien. Plus récente, sa Suite pour deux pianos : En blanc et en noir, fait également allusion à la guerre. On n’y reconnaîtra que de loin l’ancien Debussy rêveur et tendre. C’est là une curieuse évolution de sa personnalité ; et cette Suite, qui nous annonce une nouvelle manière, mérite une mention dans l’œuvre de ce grand maître. — Sur un hymne de V. Hugo ( « Ceux qui pieusement sont morts pour la Patrie » ) M. Messager a composé une musique qui, sans atteindre au ton de l’épopée, reste grave et sérieuse. Beaucoup mieux qu’un faiseur de drames véristes, cet auteur d’opérettes a su garder la note juste. La chose étonnera ceux qui ne savent point qu’une œuvre comique est difficile à réussir et demande parfois plus de talent que certains ouvrages réputés « sérieux ». — De M. R. Hahn, qui est au front, écrivant au hasard de loisirs instables, des pièces à deux pianos qui forment une suite de douze valses : Le Ruban dénoué… Je ne signale l’œuvre que pour mémoire, n’ayant pas encore eu l’occasion de la connaître. De la même façon, citons encore deux Chansons de route de M. Francis Casadesus, et un chant de M. H. Février sur un poème de M. René Fauchois.

Au théâtre, le nombre des ouvrages inédits est fort restreint. L’Opéra- Comique a rouvert ses portes et ramené à soi le public avec Carmen, Manon, Louise, et Lakmé. Sont venues s’y joindre la Tosca et la Vie de Bohème-, il fallait s’y attendre : M. Puccini est Italien et « allié ». C’eut été pourtant un joli geste d’hommage à la musique que de reprendre les Noces de Figaro ou Idoménée. Et je soutiens que tel gros drame vériste, ou bien la si déplorable Symphonie pathétique de Tchaïkowsky, sont mille fois plus « boches », en leur emphase pleurarde, que ces chefs-d’œuvre de Mozart, qui ne le sont pas du tout. Mais passons. — Les nouveautés de la saison sont Le Tambour, de M. A. Bruneau, et Les Cadeaux de Noël de M. X. Leroux, tous deux fort goûtés. Cependant je n’en parle que par ouï-dire, n’ayant pas eu l’occasion d’aller les entendre.

L’Opéra nous a donné cet hiver deux séries de matinées, le jeudi et le dimanche. Une idée assez originale de M. J. Rouché a paru satisfaire le public : ces spectacles coupés, formés d’actes de pièces différentes, pouvaient a priori sembler illogiques à des esprits chagrins. On a constaté que ce parti pris n’est pas plus gênant qu’au concert. Et il conserve l’avantage qu’ainsi l’on peut essayer des fragments d’œuvres non reprises depuis longtemps. L’expérience faite pour Ascanio et L’Ouragan est des plus concluantes. La force de l’un et la grâce charmante de l’autre plaident éloquemment leur cause. — Vous rappelez-vous les intéressantes représentations du théâtre des Arts, lorsque M. Rouché en était le directeur ? La petite phalange d’artistes dont il avait su s’entourer l’aide encore à l’Opéra en des reconstitutions telles que Mademoiselle de Nantes, Les Virtuoses de Mazarin, Le Roman d’Estelle, « Rétrospectives » fort agréables, et bien utiles, vu l’ignorance parfaite où nous sommes de notre musique nationale. Le projet total de M. Rouché, outre ces auditions, comportait de plus moderne