Page:Kostomarov - Deux nationalités russes.djvu/29

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ses représentants les prélats, se faire l’organe du juge suprême ; car, pour que l’affaire prît le caractère d’approbation divine, il fallait bien qu’elle fût déclarée telle par ceux qui avaient le droit de décider la question. C’est pourquoi les autorités ecclésiastiques étaient incomparablement plus influentes sur la masse du peuple à l’est et avaient beaucoup plus la possibilité d’agir à leur gré. Déjà au XIIe siècle, à l’époque de l’enfance de la Grande Russie, nous y rencontrons l’évêque Théodore qui voulait faire reconnaître l’indépendance de son diocèse et qui avait recours à des barbaries et des brutalités (car les gens riches souffraient beaucoup par lui, il détruisait les villages, pillait les armes et les chevaux), il emprisonnait quelques hommes, en asservissait d’autres, non seulement des bourgeois, mais des moines, des prieurs, des prêtres ; ce martyriseur impitoyable coupait la tête à des hommes, la barbe à d’autres, il brûlait les yeux à quelques-uns, coupait la langue à d’autres, il en crucifiait à un mur et pillait tout, c’était un véritable enfer. (Traduction du slavon de la chronique.)

Malheureusement nous ne savons pas par quels moyens cet évêque avait pu commettre ces crimes. Sans doute il s’appuyait sur l’autorité séculière d’André Bogolioubski qui, pour sanctifier ses entreprises, avait besoin d’un haut dignitaire de l’église indépendante du pays de Vladimir, à part le métropolite de Kief et il se remuait fort pour que le patriarche consacrât un évêque indépendant. L’autorité séculière s’appuyait sur l’autorité ecclésiastique qui, à son tour, s’appuyait sur l’autorité séculière.

Dans ce temps les nouveaux principes, qui n’étaient pas encore bien enracinés, ne pouvaient parfois que céder aux anciens, qui n’avaient pas encore perdu leur force vivace, c’est pourquoi Théodore expia à Kief son orgueil, comme le prince qui l’avait livré à ses ennemis paya aussi de sa tête, quelques années plus tard, à Bogolioubof[1]. Rostof était aux yeux d’André et de Théodore

  1. Théodore ayant obtenu du patriarche la dignité d’Évêque ne voulut pas aller à Kief pour recevoir la consécration du métropolite. C’est pourquoi le clergé de Vladimir ne voulut pas se soumettre à lui, aussi fit-il fermer les églises et interdire la célébration du culte. André dut envoyer les évêques à Kief pour recevoir la consécration, le métropolite fit alors, d’après les mœurs de Byzance, couper la main droite, crever les yeux et trancher la langue de Théodore.

    Les sujets d’André indignés de la cruauté de ce prince, l’assassinèrent en 1175 dans le village de Bogolioubof. Aucun prêtre ne consentit à enterrer le corps de la victime.