Page:Kostomarov - Deux nationalités russes.djvu/48

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libre. L’organisation du mir est une restriction, c’est pourquoi la forme du mir introduite par l’autorité a pris l’esprit, et l’idée dominante en Grande-Russie ; elle était enracinée au fond de la vie populaire ; cette organisation dérivait naturellement de la tendance à la concentration, à l’unité sociale et gouvernementale qui forme, comme nous l’avons montré, le caractère distinctif des Grands-Russiens. La propriété rurale privée sort par ce moyen légal de la philosophie sociale grande-russienne. Toute la société remet son sort au représentant de son autorité, à la personne que Dieu a placée à la tête de la société et par conséquent tout lui doit obéissance. Ainsi tout lui appartient sans conteste comme au représentant de la divinité ; de là aussi l’idée que tout vient de Dieu et du tsar. Or, devant le tsar et devant Dieu tous sont égaux. Mais comme Dieu élève, récompense l’un et punit, humilie l’autre, ainsi agit le tsar qui accomplit sur la terre la volonté divine.

C’est ce qu’exprime le proverbe russe : volonté divine, jugement du tsar. De là le peuple a supporté, sans murmurer même, ce qui semblait passer la mesure de la patience humaine comme, par exemple les atrocités de « Jean le cruel ». Le tsar faisait ce qui était injuste et méchant, néanmoins il était l’instrument de la volonté divine. S’opposer au tsar même inique c’était s’opposer à Dieu, c’était un péché inutile parce que Dieu enverrait des maux encore plus grands. Ayant un pouvoir incontesté sur la société, le tsar est le goçoudar, c’est-à-dire le propriétaire absolu de tout l’empire. Le mot goçoudar indiquait justement le propriétaire ayant le droit à sa guise de disposer de tout ce qui est dans l’état comme de son bien propre. C’est pourquoi les Novgorodiens, élevés dans d’autres principes que les Grands-Russiens et appartenant de plus à une autre nationalité, furent si révoltés quand Jean III eut la fantaisie de changer l’ancien titre de Gospodine en celui de Goçoudar. Gospodine représentait un personnage revêtu de l’autorité, et à qui on devait le respect, mais Goçoudar c’était un être dont on ne pouvait discuter l’autorité, il était unique, comme il l’était l’unique possesseur de tout ; Jean voulait se proclamer goçoudar à Novgorod et rêvait de remplacer en sa personne Novgorod-la-Grande, qui jusqu’alors avait été le seul goçoudar (c’est-à-dire que le peuple de Novgorod avait été souverain), comme dans la Grande-Russie le Grand-Duc remplaçait la volonté de toute la nation. Étant le créateur autocratique des conditions