Page:Kostomarov - Deux nationalités russes.djvu/50

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et plongeait dans l’esclavage la masse du pauvre peuple, mais ici le magnat ne représente pas la volonté du tsar et par elle celle du seigneur : Il est propriétaire de droit ; pour parler plus simplement, son droit, c’est la force et l’antiquité de son origine.

Là, le paysan ne pourrait donner à son maître aucune signification de volonté divine, parce qu’il ne comprenait pas le droit abstrait, parce que lui-même s’en servait, il ne voyait pas en lui de représentant de Dieu puisque son maître était simplement un homme libre. Naturellement l’esclave à la première occasion voulait se rendre libre, tandis que dans la Grande-Russie il ne pouvait le désirer, car il voyait que son maître dépendait d’une autre personne, comme lui dépendait de son maître. Dans la Russie méridionale, il était très rare qu’un serf fût bien disposé envers son maître, lui fût attaché d’un amour loyal, filial, comme il n’était pas rare de le voir parmi les paysans et les domestiques de la Grande-Russie ; parmi les Grands-Russiens on trouve des exemples touchants d’un serf, d’un domestique, d’un esclave dévoué de cœur et d’âme à son seigneur, même quand celui-ci n’y tenait pas. Il défend le bien seigneurial comme s’il était à lui, il se réjouit quand le seigneur ambitieux reçoit des honneurs. Nous avons rencontré de ces serfs, auxquels on avait confié les intérêts seigneuriaux. C’était de parfaits coquins, trompant tout le monde, mais au profit de leur maître, envers lesquels ils étaient des hommes probes et droits.

Au contraire, les Ukraniens s’excusent au moyen du proverbe : De quelque manière qu’on nourrisse le loup, il regarde toujours la forêt (chassez le naturel, il revient au galop). Quand le serf ne trompe pas son maître, c’est qu’il ne trompe personne, mais s’il a goûté à la tromperie, il trompera avant tout son maître. Combien de fois il est arrivé d’entendre des plaintes contre les Ukraniens de la part de propriétaires, Grands-Russiens d’origine, qui avaient acheté des terrains dans l’Ukraine. En vain, par de bons traitements, de la justice, ils s’efforçaient de s’attacher leurs vassaux ; les travaux du seigneur étaient toujours exécutés à contre-cœur, c’est pourquoi dans les classes supérieures on est persuadé que les Ukraniens sont des paresseux. « Ni sincérité, ni attachement ». La crainte agit beaucoup plus sur eux, c’est pourquoi de bons maîtres devenaient cruels. Ordinairement ils s’efforçaient d’entourer leur personne de Grands-Russiens et ne