Page:Kropotkine — Paroles d'un Révolté.djvu/158

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taux du rachat ou de la redevance que la commune paie au seigneur est si disproportionné à la valeur des terres, et les impôts dont l’État écrase le cultivateur sont si lourds, que maintenant les trois quarts, au moins, des paysans se trouvent réduits à la plus affreuse misère. Le pain manque, et il suffit d’une seule mauvaise récolte pour que la famine sévisse dans de vastes régions et décime les populations.

Mais le paysan ne subit plus cette situation sans murmurer. Des idées nouvelles, des aspirations vers un avenir meilleur germent dans les campagnes mises en contact avec les grands centres par le réseau des voies ferrées. Le paysan attend d’un jour l’autre qu’un événement quelconque vienne abolir le rachat et la redevance, et le remette en possession de tout le sol qu’il considère comme lui appartenant de droit. Si un Arthur Young parcourait aujourd’hui la Russie, comme il parcourut la France à la veille de 1789, il aurait entendu ces mêmes vœux, ces mêmes mots d’espoir qu’il a notés dans son livre de Voyages. Dans certaines provinces une sourde agitation se manifeste par une guérilla contre les seigneurs, et il suffirait que des événements politiques jetassent la désorganisation dans le pouvoir et surexcitassent les passions, pour que les faméliques des villages, aidés et excités peut-être par la petite bourgeoisie campagnarde qui se constitue avec une rapidité prodigieuse, commencent une série de révoltes agraires. Alors, ces révoltes éclatant, sans plan préconçu et sans organisation sur toute la surface du territoire, mais se propageant de tous les côtés, s’entre-croisant, harassant les armées et le gouvernement, et traînant pendant des années, pourraient inaugurer et donneraient force à une im-