Page:Kropotkine - L Entraide un facteur de l evolution, traduction Breal, Hachette 1906.djvu/311

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Quant aux autres États européens, il suffit de dire que jusqu’à une date très récente, toutes espèces d’unions étaient poursuivies comme conspirations. Cependant, il en existe partout, quoiqu’elles doivent prendre souvent la forme de sociétés secrètes ; l’extension et la force des organisations du travail, et particulièrement celle des Chevaliers du Travail, aux États-Unis et en Belgique, ont été suffisamment mises en évidence par les grandes grèves depuis 1890. On doit cependant se rappeler que, outre les persécutions, le simple fait d’appartenir à une union ouvrière entraîne des sacrifices considérables d’argent, de temps, de travail non payé, et implique continuellement le risque de perdre son emploi pour le simple fait d’appartenir à l’union[1]. En outre, chaque membre d’une union a toujours à envisager la grève ; et l’effrayante réalité de la grève, c’est que le crédit limité d’une famille d’ouvriers chez le boulanger et le prêteur sur gages est vite épuisé, la paye de grève ne mène pas loin, même pour la simple nourriture, et la faim se lit bientôt sur les figures des enfants. Pour celui qui vit en contact intime avec les ouvriers, une grève qui se prolonge est un spectacle des plus déchirants ; et on peut facilement concevoir

    devant les tribunaux le droit du « picketing », c’est-à-dire le droit des ouvriers de tenir leurs sentinelles aux approches d’une usine, pour inviter les travailleurs qui s’y rendent à faire cause commune avec les grévistes. Les poursuites de ces dernières années menacent une fois de plus de rendre illusoires les droits conquis.

  1. Une contribution hebdomadaire de 6 pences (0 fr. 60) sur des gages de 18 shillings (22 fr. 50) ou de 1 shilling (1 fr. 25) sur 25 shillings (31 fr. 25) représente beaucoup plus que 9 livres (225 francs) sur un revenu de 300 livres (7 500 francs) : cette contribution est prise en grande partie sur la nourriture ; et la contribution est bientôt doublée quand une grève est déclarée dans une association fraternelle. La description graphique de la vie des membres des « trade-unions », par un bon ouvrier, publiée par Mr. et Mrs. Webb (p. 431 et suiv.), donne une excellente idée de la somme de travail fournie par un membre d’une union.