Page:Kropotkine - La Grande Révolution.djvu/161

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venu où le Tiers-État ne permettrait plus aux nobles et aux religieux de dominer. Le pouvoir de ces deux classes avait duré trop longtemps, et le moment était venu d’abdiquer. Pour un grand nombre de seigneurs, appauvris, résidant à la campagne et peut-être aimés aux alentours, les paysans révoltés montrèrent beaucoup d’égards personnels. Ils ne leur faisaient aucun mal ; ils ne touchaient pas à leur petite propriété personnelle ; mais pour les terriers et les titres de propriété féodale, ils étaient impitoyables. Ils les brûlaient après avoir forcé le seigneur de jurer l’abandon de ses droits.

Comme la bourgeoisie des villes, qui savait très bien ce qu’elle voulait et ce qu’elle attendait de la Révolution, les paysans, eux aussi, savaient très bien ce qu’ils voulaient : les terres enlevées aux communes devaient leur être rendues, et toutes les redevances nées du féodalisme devaient disparaître. L’idée que tous les riches en général doivent disparaître perçait peut-être dès lors ; mais pour le moment la jacquerie se bornait aux choses, et s’il y eut des cas où le seigneur fût maltraité, ces cas étaient isolés et ils s’expliquaient généralement par l’accusation d’avoir été un accapareur, un des spéculateurs sur la disette. Si les terriers étaient livrés, et si la renonciation était faite, tout se passait à l’amiable : on brûlait les terriers ; on plantait « un Mai » au village, on attachait à ses branches les emblèmes féodaux[1],

  1. Quelquefois, dans le Midi, on y attachait cette inscription : « Par ordre du Roi et de l’Assemblée nationale, quittance finale des rentes. » (Mary Lafon, Histoire politique du Midi de la France, 1842-1845, t. IV, p. 377).