Page:Kropotkine - La Grande Révolution.djvu/295

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mois de 1790, et même dès décembre 1789, n’offre-t-elle rien d’imprévu. Mais si cette réaction fut si forte qu’elle put durer jusqu’en juin 1792, et si, malgré tous les crimes de la Cour, elle devint assez puissante pour qu’en 1791 toute la révolution fût remise en question, — c’est qu’elle ne fut pas seulement l’œuvre des nobles et du clergé, ralliés sous le drapeau de la royauté. C’est que la bourgeoisie aussi — cette force nouvelle constituée par la Révolution elle-même — vint apporter son habileté aux affaires, son amour de l’« ordre » et de la propriété, et sa haine du tumulte populaire, pour appuyer les forces qui cherchaient à enrayer la révolution. C’est qu’aussi le grand nombre des hommes instruits, des « intellectuels » dans lesquels le peuple avait mis sa confiance, — dès qu’ils aperçurent les premières lueurs d’un soulèvement populaire, lui tournèrent le dos et s’empressèrent de rentrer dans les rangs des défenseurs de l’ordre, afin de mater le peuple et d’opposer une digue à ses tendances égalitaires.

Renforcés de cette façon, les contre-révolutionnaires ligués contre le peuple réussirent si bien, que si les paysans n’avaient continué leurs soulèvements dans les campagnes, et si le peuple des villes, voyant l’étranger envahir la France, ne s’était soulevé de nouveau pendant l’été de 1792, la Révolution s’arrêtait dans sa marche, sans rien avoir fait de durable.

En général, la situation était bien sombre en 1790. « Déjà l’aristocratie pure des riches est établie sans pudeur », écrivait Loustalot, le 28 novembre 1789, dans les Révolutions de Paris. « Qui sait si déjà ce n’est pas un crime de lèse-nation que d’oser dire : La nation est