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L’œuvre d’affranchissement, commencée par les paysans française en 1789, fut continuée en Espagne, en Italie, en Suisse, en Allemagne et en Autriche par les armées des sans-culottes. Malheureusement elle ne pénétra qu’à peine en Pologne et pas du tout en Russie.

C’en eût été fait du servage en Europe dès la première moitié du dix-neuvième siècle, si la bourgeoisie française, arrivant au pouvoir en 1794 par dessus les cadavres des anarchistes, des Cordeliers et des Jacobins, n’avait arrêté l’impulsion révolutionnaire, rétabli la monarchie et livré la France à l’escamoteur impérial, le premier Napoléon. L’ex-général des sans-culottes s’empressa de raffermir l’aristocratie. Mais l’élan avait été donné et l’institution du servage avait reçu un coup mortel. On l’abolit en Italie et en Espagne, malgré le triomphe temporaire de la réaction. Grièvement atteint en Allemagne dès 1811, il disparut définitivement en 1848. La Russie se vit forcée d’émanciper ses serfs en 1861, et la guerre de 1878 mit fin au servage dans la péninsule des Balkans.

Le cycle est maintenant accompli. Le droit du seigneur sur la personne du paysan n’existe plus en Europe, même là où le rachat des droits féodaux reste encore.

Les historiens négligent ce fait. Plongés dans les questions politiques, ils n’aperçoivent pas l’importance de l’abolition du servage, qui est cependant le trait essentiel du dix-neuvième siècle. Les rivalités entre nations et les guerres qui en furent la conséquence, la politique des grandes puissances, dont on s’occupe tant, — tout cela dérive d’un grand fait : l’abolition de la servitude per-