Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/101

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« — Je ne plaisante pas, continuai-je, et je vous déclare que je ne tolérerai plus vos insinuations. »

Il ne répéta plus sa plaisanterie, mais il me regarda avec plus d’aversion que jamais.

Par bonheur on ne pouvait guère me punir. Je ne fumais pas. Mes vêtements étaient toujours boutonnés et agrafés et proprement pliés le soir.

Tous les jeux me plaisaient, mais plongé dans la lecture et en correspondance continuelle avec mon frère, je pouvais à peine trouver le temps de prendre part à une partie de lapta(espèce de cricket) au jardin, et je retournais toujours à mes livres. Mais lorsque j’étais pris en faute, ce n’était pas moi que Girardot punissait, mais le page de chambre qui était mon supérieur. Un jour, par exemple, je fis au réfectoire une découverte de physique : je remarquai que le son rendu par un verre dépend de la hauteur de l’eau qui y est contenue, et j’essayai immédiatement d’obtenir un accord parfait avec quatre verres. Mais Girardot était derrière moi, et sans me dire un mot, il mit mon page de chambre aux arrêts. Or, ce jeune homme était un excellent garçon, un cousin à moi au troisième degré ; il ne voulait même pas entendre mes excuses et me dit : « C’est bon. Je sais qu’il te déteste. » Mais ses camarades me donnèrent un avertissement : « Attention, méchant gamin, me dirent-ils. Nous ne voulons pas être punis pour vous. » Et si la lecture ne m’avait absorbé presque tout entier, ils m’auraient probablement fait payer cher mon expérience de physique.

Tous parlaient de la haine qu’avait Girardot pour moi ; mais je n’y faisais pas attention, et il est probable que mon indifférence ne faisait que l’accroître. Pendant dix-huit mois il refusa de me donner les épaulettes qu’on donnait d’ordinaire aux nouveaux après un ou deux mois de séjour à l’école, lorsqu’ils avaient appris les rudiments de l’exercice militaire. Mais je me passais très bien de cet ornement. Enfin, un officier, — le meilleur instructeur militaire de l’école, un homme qui