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Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/221

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moi, pour que je n’acceptasse pas la proposition, et je partis le lendemain soir. Lorsque j’arrivai aux basses terres de la Sibérie occidentale et aux monts Ourals, le voyage devint réellement une torture pour moi. Il y avait des jours où les roues des chariots se brisaient à chaque relais dans les ornières glacées. Les rivières se congelaient et il me fallut traverser l’Obi en bateau au milieu des glaces flottantes qui menaçaient à tout moment d’écraser notre petite embarcation. Lorsque j’atteignai les rives du Tom, rivière qui n’était prise que depuis le nuit précédente, les paysans refusèrent d’abord de me faire passer de l’autre côté et me demandèrent un « reçu ».

« — Mais quel reçu me demandez-vous ? « — Voici. Vous écrirez sur un papier : « Je, soussigné, certifie par la présente que j’ai été noyé par la volonté de Dieu et non par la faute des paysans », et vous nous donnerez le papier. » « — Avec plaisir, sur l’autre rive. »

Enfin ils me passèrent. Un jeune garçon courageux et à la mine éveillée, que j’avais choisi dans la foule, ouvrait la marche, éprouvant avec un pieu la force de la glace ; je venais ensuite, portant sur l’épaule mon sac de dépêches, et nous étions attachés tous les deux à de longues rênes tenues par cinq paysans, qui nous suivaient à distance ; l’un d’eux portait une botte de paille qui devait être jetée sur la glace là où elle semblerait pas assez forte.

Enfin j’atteignis Moscou. Mon frère vint me trouver à la gare et nous partîmes immédiatement pour Pétersbourg.

La jeunesse est une belle chose. Lorsque, après de voyage qui avait duré vingt-quatre jours et vingt-quatre nuits, j’arrivai de bon matin à Pétersbourg, j’allai le jour même porter mes dépêches à destination et je ne manquai pas d’aller rendre visite à une tante — ou plutôt à une cousine — qui résidait à Pétersbourg. Elle rayonnait de joie. « Nous avons une soirée dansante aujourd’