Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/387

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toutes les lois et que vous couvrez de votre présence les actes illégaux de ces gens ; vous êtes simplement — un gredin ! »

On jura de se venger de lui et on le garda prisonnier à la Troisième Section jusqu’au mois de mai. L’enfant de mon frère — un charmant garçon que la maladie avait rendu encore plus affectueux et intelligent — se mourait de la phtisie. Les médecins disaient qu’il n’avait plus que quelques jours à vivre. Alexandre, qui n’avait jamais demandé une faveur à ses ennemis, implora alors la permission de voir son enfant une dernière fois. Il demanda l’autorisation d’aller chez lui pour une heure, donna sa parole d’honneur qu’il reviendrait, ou d’y être amené sous escorte. Elle lui fut refusée. Il ne voulurent pas se priver de cette vengeance.

L’enfant mourut et sa mère fut une fois de plus sur le point de devenir folle, quand mon frère fut informé qu’il allait être transporté à Minousinsk, petite ville de la Sibérie orientale.

Il devait s’y rendre en voiture entre deux gendarmes, et sa femme était autorisée à le rejoindre plus tard, mais elle ne devait pas voyager avec lui.

« Dites-moi enfin quel est mon crime ! » demanda-t-il ; mais il n’y avait pas d’autre charge contre lui que la lettre. Sa déportation paraissait si arbitraire, elle semblait tellement un acte de pure vengeance de la part de la Troisième Section que personne parmi nos parents ne pouvait croire que son exil durerait plus de quelques mois. Mon frère adressa une plainte au Ministre de l’Intérieur. Le Ministre répondit qu’il ne pouvait rien faire contre la volonté du chef de la gendarmerie. Une autre plainte fut adressée au Sénat. Elle n’eut aucune réponse.

Deux années plus tard, notre sœur Hélène, agissant de sa propre initiative, écrivit une pétition au tsar. Notre cousin Dmitri, gouverneur général de Kharkov, aide de camp de l’empereur et favori à la cour, était profondément irrité des agissements de la Troisième Section ; il remit lui-même la pétition au tsar et il ajouta en même