Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/48

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

était de faire faire chez lui, par ses gens, tout ce qui était nécessaire pour la maison.

« Comme votre piano est toujours bien accordé ! Je pense que c’est Herr Schimmel qui est votre accordeur ? » venait à remarquer un hôte.

L’idéal était alors de pouvoir répondre : « J’ai mon accordeur de pianos à moi. »

« Quelle superbe pièce de pâtisserie ! » s’écriaient les convives à la vue d’un œuvre d’art, composée de glaces et de pâtisseries, faisant son apparition vers la fin du dîner. « Avouez, prince, que cela vient de chez Tremblé » (le confiseur en vogue).

« C’est mon propre confiseur, un élève de Tremblé, que j’ai autorisé à montrer son savoir-faire, » telle était la réponse qui provoquait l’admiration générale.

Faire faire par ses propres gens les broderies, les harnais, les meubles, tout en un mot, voilà quel était l’idéal du propriétaire foncier riche et considéré. Dès que les enfants des serviteurs avaient atteint leur dixième année, on les mettait en apprentissage dans les magasins à la mode, où ils étaient obligés de passer cinq à sept ans, occupés surtout à balayer, à recevoir un nombre incroyable de volées et à faire en ville des commissions de toutes sortes. Je dois avouer qu’un bien petit nombre d’entre eux passaient maîtres dans leur art. Les tailleurs, les cordonniers étaient jugés tout au plus capables de confectionner des vêtements et des chaussures à l’usage des serviteurs, et lorsque pour un dîner on désirait une pâtisserie réellement bonne, on la commandait chez Tremblé, tandis que notre confiseur battait du tambour dans notre orchestre.

Cet orchestre était encore une des marottes de mon père, et presque tous ses serviteurs mâles possédaient, entre autres talents, celui de jouer dans l’orchestre de la basse ou de la clarinette. Makar, l’accordeur de pianos, sommelier en second, était aussi flûtiste. Andréï, le tailleur, jouait du cor d’harmonie. Le confiseur eut d’abord la partie du tambour, mais il abusa tellement