Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/487

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côté du procureur de la République, j’ajoutai : « Voilà tout l’échafaudage de votre accusation renversé par votre propre témoin ! »

Néanmoins, nous fûmes tous condamnés pour avoir fait partie de l’Internationale : quatre d’entre nous, au maximum de la peine, c’est-à-dire, à cinq ans de prison et à deux mille francs d’amende ; les autres, à une peine variant de un à quatre ans de prison. En réalité, nos accusateurs n’essayèrent pas de prouver quoi que ce fût au sujet de l’Internationale. On semblait l’avoir oublié. On nous demanda simplement de nous expliquer sur l’anarchie, et c’est ce que nous fîmes. Pas un mot ne fut prononcé sur les explosions de dynamite ; et lorsque un ou deux de nos camarades lyonnais demandaient des éclaircissements sur ce point, on leur fit brutalement remarquer qu’ils n’étaient pas poursuivis pour cela, mais pour s’être affiliés à l’Internationale, — dont je faisais seul partie.

Ces sortes de procès présentent toujours quelque incident comique et cette fois il fut amené par une lettre de moi. L’accusation ne reposait sur rien du tout. Des quantités de perquisitions avaient été faites chez les anarchistes, mais on n’avait trouvé que deux lettres de moi. L’accusation essaya d’en tirer le meilleur parti possible. L’une d’elles était adressée à un ouvrier français, qui se sentait découragé. Je lui parlais dans ma lettre de la grande époque où nous vivions, des grands changements qui se préparaient, des idées qui se faisaient jour et se répandaient. La lettre n’était pas longue, et le ministère public n’en tira pas grand-chose. Quant à l’autre, elle avait douze pages. Je l’avais écrite à un autre Français de mes amis, un jeune cordonnier. Il gagnait sa vie à faire des souliers dans sa chambre pour un magasin. A sa gauche il avait un petit poêle de fonte, sur lequel il préparait lui-même son repas de chaque jour, et à sa droite un banc étroit sur lequel il écrivait de longues lettres aux camarades, sans quitter son petit escabeau de cordonnier. Dès qu’il avait fait