Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/86

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à la maison du pope et aux paysans. Les récits sur les derniers jours de Sébastopol, sur l’épouvantable bombardement et finalement sur l’évacuation de la ville par nos troupes, firent couler les larmes. Dans chaque maison des alentours la perte de Sébastopol fut pleurée avec autant de chagrin que l’aurait été la mort d’un proche parent, bien que chacun comprît que désormais la terrible guerre prendrait fin bientôt.

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Ce fut au mois d’août 1857 — j’avais alors près de quinze ans — que mon tour vint d’entrer au corps des pages, et je fus emmené à Pétersbourg. Lorsque je quittai la maison paternelle, j’étais encore un enfant ; mais le caractère de l’homme est formé ordinairement d’une façon définitive plus tôt qu’on ne le suppose en général, et il est évident pour moi qu’en dépit de mon extérieur d’enfant j’étais dès lors bien semblable à ce que j’ai été par la suite. Mes goûts, mes inclinations étaient déjà fixés.

C’est mon précepteur russe, comme je l’ai dit, qui donna la première impulsion au développement de mon esprit. C’est une excellente habitude dans les familles russes — habitudes qui se perd malheureusement aujourd’hui — d’avoir dans la maison un étudiant qui aide les garçons et les filles dans leurs leçons et leurs devoirs, même lorsqu’ils sont au lycée. L’assistance de cet étudiant est inestimable pour rendre plus complète l’assimilation de ce qu’ils apprennent à l’école et pour élargir leurs idées sur les sujets de leurs études. En outre, il introduit dans la famille un élément intellectuel et devient pour les jeunes un frère aîné, responsable de ses élèves ; et comme les méthodes d’enseignement changent rapidement d’une génération à l’autre, il peut aider les enfants beaucoup mieux que ne pourraient le faire les parents les plus instruits.

Nikolaï Pavlovitch Smirnov avait des goûts littéraires. En ce temps-là, sous la censure barbare de Nicolas Ier, beaucoup d’ouvrages absolument inoffensifs de nos meilleurs