lui-même mon éducation, remplir le saint devoir dont il se chargea en m’adoptant. Quel ami, Ernest, que ce second père ! Quel homme excellent ! La mort seule a pu interrompre cette amitié qui le lioit à celui que j’ai perdu, et le comte se plaît à la continuer religieusement en moi. Il me regarde souvent ; je vois quelquefois des larmes dans ses yeux : il trouve que je ressemble beaucoup à mon père, que j’ai dans mon regard la même mélancolie ; il me reproche d’être, comme lui, presque sauvage et de craindre trop le monde. Je t’ai déjà dit comment j’ai fait la connoissance de la comtesse, de quelle manière touchante il me présenta à Valérie (c’est ainsi qu’elle se nomme et que je l’appellerai désormais) ; d’ailleurs, elle veut que je la regarde comme une sœur, et c’est bien là l’impression qu’elle m’a faite. Elle m’en impose moins que le comte : elle a l’air si enfant ! Elle est très vive, mais sa bonté est extrême. Valérie paroît aimer beaucoup son mari : je ne m’en étonne pas ; quoiqu’il y ait entre eux une grande différence d’âge, on n’y pense jamais. On pourroit trouver quelquefois Valérie trop jeune ; on a peine à se persuader qu’elle ait formé un engagement aussi sérieux ; mais jamais le comte ne paroît trop vieux. Il a trente-sept ans ; mais il n’a pas l’air de les avoir. On ne sait d’abord ce qu’on aime le plus en lui, ou de sa figure noble et élevée, ou de son esprit, qui est toujours agréable, qui s’aide encore d’une imagination vaste et d’une extrême culture ;
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