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l’art de diriger

multueux des pensées énergiques qui l’obsèdent. Combien de chefs-d’orchestre se doutent seulement de l’importance esthétique de ce détail !

Plus instructives encore sont les observations que Wagner formule à propos de l’interprétation de l’ouverture de Freyschütz qu’il dirigea un jour à Vienne, en 1864. Tout ce passage est à citer, car il peut encore servir de guide aux chefs d’orchestre qui ne massacrent que trop souvent, sans le vouloir évidemment, cet admirable poème symphonique.

À la répétition, raconte Wagner, l’orchestre de l’Opéra impérial de Vienne, sans conteste l’un des meilleurs du monde, se montra très déconcerté par mes exigences sous le rapport de l’interprétation. Dès le début, je dus me convaincre que l’adagio initial avait été pris jusqu’alors comme un andante facile et tranquille. Et ce n’était point là une tradition purement viennoise ; déjà à Dresde, dans la ville même où Weber avait dirigé son œuvre, je l’avais rencontrée auparavant. Lorsque dis-huit ans après la mort du maître, dirigeant pour la première fois le Freyschütz à Dresde même, sans tenir aucun compte des habitudes contractées par l’orchestre sous mon ancien collègue Reissiger, je pris le mouvement de l’introduction selon mon sentiment personnel, un vétéran du temps de Weber, le vieux violoncelliste Dotzauer se tourna vers moi et me dit avec gravité : « C’est ainsi que Weber le prenait ; voici la première fois que je l’entends de nouveau exactement. » La veuve de Weber, qui vivait encore à Dresde, me confirma également dans la justesse de mon sentiment en ce qui concernait l’exécution de la musique de son mari…

Ces précieux témoignages m’enhardirent à pousser à fond la réforme de l’interprétation de l’ouverture du Freyschütz lors de ce concert à Vienne. Je fis étudier complètement à nouveau cette œuvre connue jusqu’à la satiété. Sous l’impulsion délicatement artistique de Lewi, les cors modifièrent du tout au tout, sans se rebuter, le mode d’attaque employé jusqu’alors dans la tendre fantaisie champêtre du début dont on avait fait un morceau à effet, d’un éclat triomphant ; conformément aux indications de la partition, il s’ingénièrent à mettre dans leur chant