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gitif venaient dans une forte barque ; ils allaient, cherchant leur proie, tant que le soleil éclairait la terre, et le soir ils s’en retournaient au vaisseau, sans l’avoir trouvé.

« Chaque soir, ma mère partait de sa case avec des provisions, marchait pendant une heure et demie, arrivait à la caverne, et passait plusieurs heures avec l’étranger, pansant sa blessure, partageant son repas, recevant et lui rendant ses douces caresses ; et quand le matin s’approchait, elle s’en retournait, marchant une heure et demie encore. Et le jour, de peur qu’on ne devinât son secret, elle dormait très peu d’heures. Aussi, la fatigue et l’inquiétude l’accablèrent bien vite ; et le cinquième jour elle tomba malade. Ella cacha son mal pendant toute la journée et garda un visage riant, quoiqu’elle fût en proie à des douleurs violentes.

« Le soir venu, elle voulut sortir et se mettre en route ; au bout de quelques pas, elle tomba sans connaissance. Quand elle revint à elle, elle se trouva sur sa natte, pâle, maigrie, accablée, et gardée d’un côté par sa mère et de l’autre par Mikoa. Elle les regarda tour à tour avec terreur, et demanda en tremblant combien il y avait de temps qu’elle était malade. Sa mère lui dit qu’il y avait six jours.

Alors elle se roula sur sa natte en poussant des cris plaintifs. Sa mère sortit pour lui aller chercher du jus de citron mêlé de girofle. À peine Mikoa se trouva-t-il seul avec ma mère, qu’il lui dit :

— Sois tranquille, Nada : « il a mangé tous les soirs. » — Elle se jeta au cou de Mikoa, et tous deux ensemble pleurèrent longtemps.

« Mikoa avait remarqué que chaque jour les yeux de ma mère étaient appesantis et ses pieds enflés, et il avait pensé qu’elle marchait la nuit au lieu de dormir. Il voulut savoir où elle allait ainsi seule dans les ténèbres. Un soir, il vint se cacher derrière ces palmiers, et il attendit. Quand la nuit fut tout-à-fait tombée, il vit Nada sortir de sa case, portant quelque chose à la main. Il la suivit jusqu’au bord du précipice, en ayant soin de ne pas se découvrir. Seulement, quand il la vit se glisser le long du rocher, il fut saisi d’une telle frayeur, qu’il manqua crier ; mais il se contint, pour ne pas effrayer ma mère. Puis il attendit. Il attendit toute la nuit.

« Un peu avant l’aurore, il la vit remonter et reprendre la route de la vallée. Il la laissa partir seule et resta immobile jusqu’au jour, roulant bien des pensées dans sa tête. Le jour venu, il essaya si son couteau jouait bien dans sa gaine ; puis, se recommandant au génie des guerriers, il se laissa glisser sur le rocher, à l’endrait où il avait vu disparaître ma mère.

« Arrivé dans le fourré, il se mit à ramper, la tête en bas, jusqu’à ce que rien ne le séparât plus du précipice. Alors il avança la tête, et se mit à regarder de tous côtés. Il fut longtemps sans rien voir que le rocher et l’abîme. Mais il ne se découragea pas ; et, à force de se pencher et de chercher, il découvrit le bas d’une ouverture dont un pan de rocher lui cachait le haut. Il y descendit comme avait fait Nada, et arriva comme elle à la caverne.

« L’étranger dormait. Il était beau comme les génies et un peu pâle de sa blessure, que le morceau de pagne de Nada bandait encore. Mikoa s’assit en face de lui, le regarda longtemps, puis s’en alla. Ce fut le soir de ce jour que ma mère tomba malade. Après l’avoir portée sur sa natte, Mikoa prit son panier, y mit des bananes et un coco frais, et alla les porter à l’étranger ; et tous les soirs il fit de même, jusqu’à ce que ma mère fût revenue de son délire. »

En achevant ces mots, Razim pencha sa tête sur sa poitrine et laissa couler ses larmes. Maurice pleurait aussi.

— Pauvre Mikoa ! reprit la jeune fille au boi d’un instant, pauvre Mikoa ! Ma mère s’est bien repentie depuis de n’avoir pas préféré celui qui était le meilleur.

Il y eut encore un instant de silence. Puis Rasa reprit son récit de la sorte :

« À peine Nada fut-elle sortie de son engourdissement, qu’elle voulut aller voir l’étranger. Mikoa ne put l’empêcher de partir qu’en lui promettant d’amener l’étranger à la cabane dès la nuit suivante. Depuis trois jours, le chef des guerrier blancs, fatigué d’une poursuite inutile, avait fait marcher son navire vers les pays lointains. Alors les chefs, ne craignant plus la colère des puissant étrangers, avaient fait déclarer que le fugitif cessait d’être maudit, et que celui qui le recevra dans sa maison ne serait pas puni. Mais Mikoa qui savait que les desseins des hommes sont changeants et que leurs cœurs sont aussi profonds que l’eau de la mer, n’avait voulu découvrir à personne la retraite du fugitif, avant que Nada le lui