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trésors fabuleux pour réaliser ses chimères et ses rêves ; la poésie jouait bien aussi son rôle dans ces monstrueuses fantaisies. Autrefois, dans ses heures de désœuvrement, il avait parcouru des livres oubliés derrière les rayons de la bibliothèque du presbytère, et où il était question de ces audacieux Titans du moyen âge, qui tentaient d’escalader le monde, à l’aide de leurs cornues et de leurs alambics ; la pensée de résoudre l’impossible problème de la transmutation des métaux ne le sollicitait pas précisément, il ne croyait pas sans doute à la pierre philosophale et à toutes les subtilités du grand œuvre, il savait ce qu’il devait penser des bouquins cabalistiques et de l’art conjectural de l’alchimie, mais il croyait fermement que si l’or est l’œuvre de Dieu, le diamant pouvait être l’œuvre de l’homme ; il résolut de faire du diamant.

Oh ! que de fois à cette époque il se crut sur le point de toucher le but tant désiré ; il avait loué un petit appartement dans le quartier désert de l’Arsenal. Toutes ses chambres élaient transformées en laboratoire, les alambics, les cornues, les ballons, les cucurbites et tous les appareils diaboliques couraient épars le long des murailles. Il demeurait des jours entiers l’œil tendu vers le creuset, la figure sur le fourneau, pâle, tremblant, passant tour à tour de l’espoir au découragement, de la joie à la tristesse. Souvent il voyait tout éveillé, dans ses rêves, les diamants se répandre dans sa chambre, et monter, monter comme une mer étincelante, roulant en guise de sable, des millions de pierres précieuses. Les plus bizarres hallucinations dansaient dans son cerveau ; il vivait dans un monde infernal, il ne sortait plus, prenait à peine le temps de manger, et ne connaissait d’autre chemin que celui qui conduisait de ses fourneaux à ses bahuts et à ses ballons. Il serait mort à la peine, si un ami, rencontré par hasard, ne fût venu arracher à cette vie satanique ce désireur de l’impossible, et ne l’eût emmené en Italie.

Il partit donc, après avoir semé de l’or pour récolter de la poussière.

Au bout de deux années passées à Florence, à Naples, en Sicile, son ami mourut en lui léguant un secret plus précieux et plus fatal que celui que le jeune homme avait en vain poursuivi à Paris ; il lui apprit que de nos jours la pierre philosophale réside tout entière dans l’adresse, l’audace et la subtilité du coup de main. L’inconnu demeura près de douze ans en Italie, après avoir successivement revêtu, selon les besoins et les circonstances, les costumes de cardinal, de grand seigneur et de gondolier, après avoir été tour à tour noble vénitien à Florence, gentilhomme florentin à Venise, et prince romain à Naples. Durant ce long pèlerinage, il absorba dix fortunes, eut quinze duels, trente aventures galantes, et sut toujours glisser à travers les mailles de la justice. Alors il songea à rentrer en France ; mais comme il avait depuis longtemps perdu le souvenir de son nom et de son origine, il se pourvut de parchemins authentiques en traversant la frontière. L’Italie l’avait reçu roturier, elle le rendit gentilhomme ; il était parti simple citoyen français, et il revint prince romain ; l’inconnu jeté dans l’alambic produisit le prince Formose ! j’ai dit !

— Incline-toi, Berthold ! s’écria celui-ci, exalté par la parole rapide de Formose.

Tu ne vois dans tout ceci, reprit le prince, que le fait brutal du crime, et tu ne comprends pas que l’enfant du hasard a obéi à la fatalité, cette marâtre sans entrailles dont j’ai sucé, aux premiers jours de ma vie, les mamelles de bronze. Mais si j’avais eu, comme vous tous, une mère pour m’aimer, un père pour diriger ma conduite, sans doute ce caractère indépendant et sauvage, toujours en lutte contre les lois de la société, se fût façonné aux exigences du devoir, et, quelque ridicule que puisse te paraître ce mot nouveau dans ma bouche, je serais peut-être aujourd’hui un honnête homme.

Berthold garda le silence.

Formose reprit au bout de quelques instants. — Tu ne sais pas encore ce que c’est que la torture du remords, mais tu la ressentiras tôt ou tard, sois-en sûr ; alors tu me maudiras et tu feras bien, car c’est moi qui t’ai jeté dans cette voie, où chaque pas est marqué par un crime. De la bande des six, je ne plains que toi, fanfaron du vice, qui es venu te perdre dans mon ombre. Quant à tes cinq compagnons, je les laisse tels que je les ai pris. Sans moi, peut-être, quelques-uns d’entre eux n’auraient été que des enfants perdus de police correctionnelle. Je les ai élevés jusqu’au crime ; s’ils tombent, ils tomberont de plus haut.

Formose sortit alors de la chambre et se rendit à son appartement, laissant Berthold sous le poids de ses dernières paroles.