Page:L'Écho des feuilletons - 1844.djvu/82

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en temps le petit cri plaintif d’une hirondelle de mer. Le spectacle de cette solitude grandiose et mélancolique calma peu à peu son irritation, et emporta bien loin le souvenir des réalités misérables qu’il venait d’avoir sous les yeux. Son imagination, rendue à la liberté, rouvrit les ailes, et, comme soutenue par les brises généreuses de ces abîmes déserts, remonta facilement vers la région des poétiques rêveries. À peine quelques heures s’étaient-elles écoulées depuis que le jeune homme avait pénétré dans ce mystérieux asile de la nature, que déjà il avait reconstruit en idée le monde primitif qu’il était venu chercher dans ces parages, et qui semblait fuir devant lui, comme fuyait devant Ulysse la trompeuse image d’Ithaque. Les simples amours, les fêtes pastorales, les combats homériques, les naïves cérémonies, et les costumes étranges qu’il avait si souvent rêvés, se montrèrent à ses yeux sous mille formes fantastiques, et prirent peu à peu pour lui, dans les lieux qui en avaient été autrefois le berceau et le théâtre, une sorte d’existence réelle.

Hélait arrité à l’entrée d’une vallée délicieuse où quelques moissons éclatantes indiquaient seules la puissance de l’homme. À côté d’elles, d’élégants bouquets de palmiers s’élançaient hardiment dans l’air et doraient leurs couronnes aux rayons du soleil couchant ; des touffes d’aloès étalaient de tous côtés leurs feuilles puissantes, et semblaient dormir en paix sous la protection de leurs pointes immobiles, et le gazon vert des savannes, émaillé de fleurs sauvages, regardait ans pâlir l’azur profond des cieux. Une cabane de forme antique, adossée à la dernière pente de la montagne, exposée aux plus chauds rayons du midi, était la seule demeure que n’eussent pas bâtie les oiseaux du ciel. Mais la porte en toit fermée, aucun être vivant ne se montrait aux alentours, aucun bruit ne venait de l’intérieur, et l’on eût pu la croire depuis longtemps abandonnée et déserte, si des instruments de chasse et de pêche, appuyés contre l’une des cloisons, n’eussent révélé la présence récente de l’homme. Le jeune voyageur s’était assis en face de cette cabane, et, perdu dans la contemplation de ses rêves créateurs, laissait passer les heures sans les compter. Le soleil se coucha derrière l’âpre sommet du Pasli, dont les noires déchirures se découpèrent magnifiquement sur le fond embrasé du ciel. Les arbres des collines et les herbes de la plaine prirent une teinte plus sombre et se confondirent peu à peu dans la même nuance. Le ciel s’éteignit graduellement ; les perspectives variées de la montagne se changèrent en une silhouette uniforme, l’horizon se rétrécit en s’obscurcissant, et bientôt le torrent seul, comme un ruban mobile, détacha ses teintes argentées du fond incertain de la vallée. Pourtant les ténèbres ne se firent pas. Au moment où allait disparaître la dernière lueur d’un rapide crépuscule, la lune montra son disque pâle ; et la vallée, à peine reposée de l’éclat du soleil, s’illumina de nouveau. Mais, à cette douce et tremblante lumière, chaque chose avait changé d’aspect, et avait remplacé ses lignes arrêtées et précises du jour par une apparence indéfinie et mystérieuse. Le paysage ressemblait ainsi à ceux que l’on voit dans les rêves. La cabane surtout avait pris des dimensions fantastiques. Elle réalisait si bien ainsi les rêves du jeune homme, qu’il ne pouvait en détacher les yeux.

Pendant qu’il la considérait ainsi avec une sorte d’amour, il vit la porte s’ouvrir doucement et un homme sortir lentement, en regardant avec précaution autour de lui. Cet homme portait le manteau d’écorce national, et parut à Maurice, qui, caché derrière une touffe d’aloès, pouvait tout voir sans être vu, tatoué suivant l’antique coutume. Au bout de quelques instants employés à un examen attentif des alentours, il prit un des instruments appuyés sur la cloison, le mit sur son épaule, et se dirigea vers l’entrée de la vallée. Il arriva à l’endroit où finissait la gorge, et disparut derrière un rocher assez élevé. Il y resta quelque temps caché à la vue de Maurice qui crut deviner, à certain bruit, qu’il s’occupait à piocher. Au bout d’une demi-heure environ, il reprit le chemin de la cabane, et y rentra, après avoir déposé son instrument à la porte.

Quelques minutes s’écoulèrent pendant lesquelles Maurice tâcha vainement de deviner la cause et le but de ce travail mystérieux. Ensuite la porte se rouvrit, et le même homme, après avoir de nouveau jeté autour de lui un regard de défiance, sortit comme la première fois. Mais il n’était plus seul. À quelques pas derrière lui venait une femme vêtue comme lui, à la mode nationale ; un grand pagne, d’une couleur très claire, drapé autour d’elle avec grâce, composait tout son habillement. Quoique Maurice fut placé